LE POINT DE VUE DE STÉPHANE VERNAY - Dimanche 30 juin et 7 juillet auront lieu les nouvelles élections législatives. Elles font suite à la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron. Stéphane Vernay, rédacteur en chef délégué et directeur de la rédaction de Ouest France à Paris, tente donc de comprendre, ce matin, pourquoi le président est mal-aimé ?
Après un petit détour par le réseau social X – l'ancien Twitter, je suis tombé sur un post de Daniel Kral, analyste d'une société internationale de consultants au nom ronflant : Oxford economics. Je ne connais pas du tout ce monsieur, mais son message m'a tapé dans l'œil.
Graphique de l'agence Eurostat à l'appui, le monsieur pose une question, en anglais, que je vous traduis en quelques mots : "Mais pourquoi diable les Français en ont marre de Macron ? Oui, le déficit et la dette publique a explosé, mais c'est dû au fait que les moyens financiers de l'État ont été utilisés pour limiter l'inflation au plus bas, pousser les créations d'emplois au plus haut et contenir la pauvreté au-delà de tout ce que les autres pays de l'Union européenne ont fait." Et Daniel Karl d'ajouter, dans un autre post : "En France, Macron a maintenu l'inflation parmi les plus basses de l'Union européenne, les gens sont en colère et votent pour les extrêmes. En Hongrie, où l'inflation a littéralement explosé et la monnaie s'est effondrée, Orban remporte élection sur élection, à une large majorité."
Non, non. J'ai juste l'impression que ce décalage, parfaitement incompréhensible à ses yeux, le fascine. Et il faut bien admettre qu'il y a de quoi. On l'a vu le 9 juin dernier, avec les résultats, sans appel, du vote de la France aux élections européennes. C'est la troisième fois, dans notre pays, depuis 10 ans maintenant, que le Rassemblement national gagne franchement cette élection, en promettant à chaque fois qu'en votant pour eux, leurs eurodéputés changeront l'Europe. Elle ne nous plaît manifestement toujours pas, mais, apparemment, personne ne se dit que voter RN pour ce scrutin ne sert vraiment à rien, puisque le message essentiel du parti reste le même qu'en 2014 ou qu'en 2019.
Sans doute, cette fois-ci, s'agissait-il d'exprimer un ras-le-bol, voire une colère vis-à-vis d'un président de la République que les Français n'ont que trop vue. Il faut dire qu'Emmanuel Macron dirige la France depuis plus de sept ans maintenant, sans cohabitation, donc sans partage du pouvoir, une situation inédite sous la Ve République. Seul son premier Président, le général de Gaulle, est resté aussi longtemps aux manettes. On peut donc se dire que l'usure du pouvoir a fait son œuvre.
Ils ont, en tout cas, envoyé un message à leur Président, le 9 juin. Emmanuel Macron, qui a réuni quelques journalistes mardi 18 juin - j'y étais - dit qu'il a "compris le message de la défaite des européennes" et qu'il est prêt à gouverner autrement. Qu'après le 7 juillet, de toute façon, "ça ne pourra plus être comme avant".
Il n'a pas "l'esprit de défaite", comme il dit, et il reste persuadé que ses troupes peuvent conserver la majorité à l'Assemblée. Parce qu'on ne vote pas du tout à des législatives comme on vote à des européennes. Parce qu'il pense qu'il y aura "un sursaut", une participation élevée à ces nouvelles élections, et que les Françaises et les Français y regarderont à deux fois avant de confier les clés du camion au Nouveau Front populaire ou au Rassemblement national.
Si Emmanuel Macron fait mine de n'avoir aucun doute en la matière, moi j'en ai quelques-uns, des doutes, Pierre-Hugues. Je pense aux mots de Daniel Karl que je vous citais en début de cette chronique et je n'oublie pas que la politique n'a bien souvent rien de rationnel. Je crois pour ma part qu'il est fort probable que nous héritions d'une nouvelle assemblée divisée en trois grands blocs, dont aucun n'aura la majorité absolue. Ce sera comme avant, mais en pire, avec un Rassemblement national très haut, une gauche plus forte et un centre maigrelet.
Dans un tel cas de figure, le Président espère parvenir à convaincre les démocrates de tous bords, des communistes aux Républicains non alliés au Rassemblement national, en passant par les sociaux démocrates, les écologistes ou les régionalistes, de s'unir aux centristes dans une sorte de gouvernement d'union nationale d'un nouveau genre, qui permettrait d'éviter le blocage. C'est possible, à la condition qu'Emmanuel Macron s'engage vraiment à gouverner autrement – ce qu'il a déjà promis à plusieurs reprises sans grand succès – et que les extrêmes des deux bords, les députés La France Insoumise et Rassemblement national, n'aient pas la majorité absolue, à eux deux, après l'élection. Si les ultras, de gauche comme de droite, ont plus de 289 sièges sur les 577 que compte l'Assemblée, bon courage, ensuite, pour trouver un Premier ministre qui ne soit pas rejeté par ceux d'en face. Si ce n'est pas le cas, la France sera vraiment ingouvernable. Et au moins pour un an, la Constitution ne permettant pas de dissoudre l'Assemblée une deuxième fois sans attendre que se passe au moins une année. Ça va être long. Ça n'aurait aucun sens, mais la politique, comme on peut le voir, n'en a pas toujours...
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