Faut-il ou non rétablir le rayon vert de la cathédrale de Strasbourg ? Figurez-vous qu’un tribunal a dû se pencher sur cette question en fin de semaine dernière. Il y a un côté Clochemerle dans cette histoire qui peut prêter à sourire mais qui dit aussi beaucoup sur notre relation au patrimoine.
Voici ce dont il s’agit. Deux fois par an, au moment des équinoxes, un rayon de lumière de couleur verte traversait la cathédrale de Strasbourg, à 11h38 au printemps et à 12h24 pour l’automne. Rayon qui venait illuminer une sculpture du Christ crucifié sur la chaire de la cathédrale. Ce phénomène attirait de nombreux curieux et touristes. Après une restauration du vitrail concerné par ce trait de lumière, on a constaté au printemps 2022 que le rayon vert avait disparu. Ce qui a suscité protestations, pétition, lettre au pape François et, je l’ai dit, recours en justice.
Précisons-le tout de suite : le tribunal administratif de Strasbourg a estimé vendredi que l’État n'avait aucune obligation de rétablir ce rayon vert de la cathédrale de Strasbourg. Les auteurs du recours ont annoncé qu’ils allaient faire appel. L’affaire n’est donc pas terminée.
Cette affaire porte sur un vitrail relativement récent puisqu’il date de la fin du XIXe siècle. Il représente un personnage biblique, Juda, l’un des douze fils du patriarche Jacob. C’est la pièce de verre représentant le pied de Juda qui laissait passer un rayon vert. Pas depuis longtemps : depuis les années 1970 après une restauration de la verrière. Le morceau concerné aurait été remplacé à cette époque par un verre très transparent laissant passer une ligne de lumière. C’est donc cette restauration qui a été corrigée l’an dernier avec la pose d’une patine à l’initiative de la Direction régionale des affaires culturelles. Ce qui a mis en colère Maurice Rosart, l’homme qui avait repéré ce rayon vert et en avait popularisé l’existence au début des années 1980. Cet ingénieur retraité est à la tête de la mobilisation en faveur du rétablissement du rayon vert.
Le tribunal administratif de Strasbourg a souligné que ce phénomène "n'a pas été voulu par les concepteurs de la cathédrale" et n'était dû "qu'à une restauration sommaire, non conforme à l'œuvre d'art initiale". De ce point de vue, il était donc légitime de supprimer le rayon vert. D’autant plus qu’il nourrissait des interprétations ésotériques voire complotistes quelque peu délirantes. On a pu dire, par exemple, que l’auteur du vitrail était un franc-maçon et qu’il avait doté son œuvre d’un badigeon périssable afin de faire apparaître ultérieurement ce fameux rayon vert.
Cependant, on peut se demander si ce petit prodige, aussi accidentel soit-il, ne mérite pas d’être préservé pour le simple émerveillement des visiteurs. À condition cependant de les informer clairement sur son origine afin de combattre les conjectures douteuses. On constate dans le domaine du patrimoine des formes d’intégrisme qui méritent d’être discutées. On l’a vu aussi à propos de la reconstruction de Notre-Dame de Paris où il ne faudrait toucher à rien de ce qu’a fait Viollet-le-Duc au XIXe siècle alors que lui-même s’était donné beaucoup de liberté pour restaurer le monument. Alors oui, je choisis mon camp : rendez-nous le rayon vert !
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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