Direction le musée Picasso, à Paris, pour une exposition consacrée à l’artiste africaine-américaine Faith Ringgold. Exposition plutôt surprenante dans un musée entièrement consacré à Pablo Picasso car cette femme aujourd’hui âgée de 92 ans ne l’a jamais personnellement rencontré.
On peut donc, de prime abord, se demander si cette initiative du musée n’est pas une sorte de contre-feu. Car de virulentes critiques ont émergé ces dernières années à l'égard de Picasso en raison de son comportement machiste à l’égard des femmes qui ont partagé sa vie. L’objectif serait donc de mettre en avant une femme noire et féministe pour atténuer l’image de vieux mâle blanc qui colle désormais à la réputation de Pablo Picasso. L’initiative serait hasardeuse s’il n’y avait aucun pont entre l'œuvre de Picasso et celle de Faith Ringgold. Or des ponts existent, l’exposition les met très bien en valeur.
Faith Ringgold est née à New York dans le quartier de Harlem. C’est dans cette ville qu’elle a fait ses études pour devenir professeur d’arts plastiques. Et, à cette époque, c’est dans cette ville qu'était exposé le plus célèbre tableau de Picasso, Guernica. Vaste fresque consacrée à la destruction d’une ville basque durant la guerre civile espagnole. Le tableau n’est allé en Espagne qu’après la fin du régime franquiste.
De 1939 à 1981, il a été conservé au musée d’art moderne de New York, le célèbre Moma. C’est là que Faith Ringgold a pu l’étudier. Elle s’en est inspirée de manière assez explicite pour un grand tableau de 1967 intitulé 'Série sur le peuple américain, no 20 : Meurs'. Il évoque les violences interraciales dans l’Amérique des années 1960. On retrouve, dans un format similaire à celui de Guernica, le même fond gris et la même évocation très directe de la violence que peut engendrer une guerre civile. Ce tableau appartient désormais au Moma qui l’a exposé à côté des Demoiselles d’Avignon, autre tableau très célèbre de Picasso. Tableau qui a lui aussi inspiré Faith Ringgold…
Là, il faut parler d’un aspect très attachant du travail de l’artiste. Elle s’est inspirée d’une tradition des femmes noires américaines, celle de fabriquer des couvre-lits en patchwork que l’on appelle des quilts. Comme l’explique Faith Ringgold,"les femmes s’asseyaient en cercle et cousaient tout en discutant et en racontant des histoires ; les contes et les quilts sont liés depuis des siècles".
Faith Ringgold a ainsi créé de grands quilts qui racontent des histoires, notamment un cycle intitulé The French collection. Sur l’une des toiles, l’héroïne de l’histoire pose nue pour Picasso devant les Demoiselles d’Avignon dans un atelier décoré de masques africains dont on sait qu’ils furent une grande source d’inspiration pour le peintre.
Sur une autre toile de la série, inspirée par Le déjeuner sur l’herbe de Manet, ce n’est pas une femme qui pose nue mais Picasso lui-même, entouré de femmes qui, toutes, sont habillées. Aurait-il apprécié cet humour ? Difficile à dire. Mais cela illustre bien la vivacité d’esprit de Faith Ringgold, inspirée par Picasso mais libre à son égard. Elle qui a su inventer un art à la fois "engagé, d’avant-garde et populaire", selon les mots de Cécile Debray, présidente du Musée Picasso.
> Exposition "Faith Ringgold", au musée Picasso, jusqu’au 2 juillet 2023
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