Et si on réhabilitait le gribouillage ? Une étonnante exposition à l’École des beaux-arts de Paris nous invite à considérer autrement ce mot quelque peu péjoratif. Dans le langage courant, quand on dit d’un dessin ou d’un tableau que c’est un gribouillage, ce n’est pas pour exprimer de l’admiration. Or, ce que l’on découvre aux Beaux-Arts, c’est que le gribouillage traverse toute l’histoire de l’art, et du plus grand art. "De Léonard de Vinci à Cy Twombly", pour reprendre le sous-titre de l’exposition.
Léonard de Vinci, un gribouilleur ? Mais oui ! Tout comme Michel-Ange, Raphaël, Rembrandt ou le Bernin, pour citer de très grands noms présents dans l’exposition. Bien entendu, ce sont des créateurs qui ont porté au plus haut une certaine idée de la perfection en matière de peinture, de dessin ou de sculpture. Mais il leur arrivait souvent de dessiner de manière expéditive. Pour esquisser un projet mais aussi, tout simplement, pour s’amuser.
Il est savoureux d’observer une caricature que le Bernin a fait d’un puissant cardinal du XVIIe siècle, Scipione Borghese, et plus encore de noter que cette caricature est conservée à la bibliothèque du Vatican. Évidemment, un croquis du Bernin ou un gribouillis de Léonard de Vinci ne finissent pas à la corbeille mais plutôt dans des collections où ils sont parfaitement conservés ce qui nous permet de les admirer aujourd’hui.
Il y a des dessins d’enfants, comme ceux de Louis XIII, conservés et commentés par son précepteur. Il y a les cahiers de classe du lycéen Eugène Delacroix qui, il faut le noter, dessinait déjà très bien. Plus étonnant, on voit des œuvres anciennes d’artistes très confirmés intégrant des dessins d’enfant. Ainsi Giovanni Francesco Caroto, peintre de Vérone dans la première moitié du XVIe siècle. Il représente ainsi un jeune garçon rouquin tenant fièrement à la main son joli gribouillage.
L’exposition présente aussi des dessins réalisés, si j’ose dire, avec un cœur d’enfant. C’est ce que l’on appelle l’art brut où des personnes s’expriment sans visée artistique tout à fait consciente. J’ai été frappé par les dessins calligraphiques que réalisait Thérèse Bonnelalbay pendant les réunions de cellule du parti communiste auxquelles elle assistait à Marseille.
On connaît la formule : "Un enfant de six ans pourrait en faire autant." Ce à quoi Picasso répondait : "Amenez-moi l’enfant." Il ne faut en aucun cas généraliser. L’art de notre temps comprend beaucoup d’œuvres très élaborées. Mais il y a, c’est vrai, tout un courant, qui assume le fait de produire des dessins ou des tableaux gribouillés. Le plus illustre d’entre eux est l’Américain Cy Twombly, mort en 2011 à Rome où il vivait dans un très ancien palais. C’était un homme de grande culture. On peut citer aussi le poète Henri Michaux, Pierre Alechinsky ou Jean-Michel Basquiat. Pour eux, le gribouillage, le barbouillage ne sont pas des travaux préparatoires, ils sont une fin en eux-mêmes. Cela peut agacer, laisser indifférent ou au contraire réjouir le cœur. Comme une spontanéité reconquise face à l‘esprit de sérieux des adultes.
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