C’est une prise d’otages qui a marqué la vie politique française des années 1985 à 1988 - des années Mitterrand. S'est formée en France une véritable "union sacrée" de la gauche et de la droite pour la libération du journaliste Jean-Paul Kauffmann, enlevé au Liban. En faisant le récit intime de ces trois années qui ont marqué son adolescence, Grégoire Kauffmann décrit le cœur battant des années 80.
Le 22 mai 1985, le journaliste à L’événement du jeudi Jean-Paul Kauffmann, et le chercheur du CNRS Michel Seurat, étaient signalés disparus après avoir atterri au Liban. 38 ans après, Grégoire Kauffmann publie l’histoire intime de l’affaire des otages français au Liban. Dans "L'enlèvement" (éd. Flammarion), il raconte ces trois années passées à l’ombre d'un père absent, retenu otage à Beyrouth du 22 mai 1985 au 4 mai 1988. Historien et enseignant à Sciences Po, il brosse avec ce récit le tableau du monde politique et intellectuel de l’époque. Celui du microcosme parisien fasciné par l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. C’est le cœur battant des années 80 qu’il décrit.
La disparition de son père, Grégoire Kauffmann, alors âgé de 11 ans, ne l’a pas apprise tout de suite. Mais "souvent, dit-il, les enfants ont des antennes pour comprendre qu’il se trame quelque chose dans le monde des adultes…" Le jeune Grégoire avait bien perçu "l’énervement" qui régnait dans la voiture alors qu’ils se rendaient en famille en Sologne pour le week-end de Pentecôte.
Sa mère, prévenue le jeudi, avait reçu une "injonction au silence" : "Pendant deux jours, trois jours, elle a dû tenir secrète cette information très angoissante pour elle, décrit son fils, il ne fallait pas en parler parce que dans ce type de situation tout se joue prétendument dans les premières heures ou les premiers jours." Ce qui n’a pas empêché l’adolescent, le dimanche suivant, d’entendre les journalistes annoncer l’enlèvement à la radio. Et de saisir au vol le nom de son père, et les mots "mitraillette" ou "barrage" …
Les trois années qui ont suivi l’enlèvement, Joëlle Kauffmann et ses proches les ont consacrées intégralement à donner de l’écho, pour faire en sorte que Jean-Paul Kauffmann ne soit pas oublié. Elle a été reçue plusieurs fois à l’Élysée. Dès juin 1985, elle s’est rendue à Beyrouth toute seule, pour y retourner cette fois avec ses fils notamment, en décembre 1985.
Son objectif était de "mobiliser les médias", raconte Grégoire Kauffmann, et de "faire en sorte qu’on n’oublie jamais les otages". L’adolescent a fêté ses 12 ans à Beyrouth, en décembre 85, où il avait accompagné sa mère et son frère. "Je me souviens de ces immeubles grêlés d’impacts de balles, de ces chars qui circulaient au milieu de ces carrefours gadoueux…" Depuis l’hôtel, il voyait les "tirs d’artillerie", "la guerre sous ses yeux".
L’histoire du combat pour la libération de Jean-Paul Kauffmann s’inscrit pleinement dans l’histoire politique française. Le comité des amis de Jean-Paul Kauffmann, créé par son épouse, comptait nombre "d’anciens gauchistes assagis" ainsi que les "copines féministes" de la mère de Grégoire, cette gynécologue au "parcours militant", comme la décrit son fils, qui "avait fait 68" et milité pour l’avortement.
Au milieu des années 80, la gauche avait délaissé "tous ses rêves d’émancipation sociale" et "ses utopies messianiques". C’est une gauche "métamorphosée", décrit Grégoire Kauffmann, une gauche "pragmatique, gestionnaire". Mais les quadragénaires qui se sont engagés pour libérer les otages ont utilisé "leur expérience militante". La cause de Jean-Paul Kauffmann a fédéré au-delà de la gauche : elle a reçu le soutien de Jacques Chaban-Delmas, de Jacques Toubon, d’Alain Carrignon… "Ils ont été très présents", se souvient Grégoire Kauffmann.
"Il y avait une union sacrée" autour de cette cause, décrit Jean-Claude Raspiengeas, ami de la famille. Joëlle Kauffammn, que l’ancien journaliste de Télérama compare à "une folle de mai" d'Argentine, avait dans l’idée qu’il fallait rassembler tout le monde - "sauf le Front national évidemment", précise son fils, qui il rappelle qu’on est à l’époque de "la grande peur suscitée par le Front national".
Grégoire Kauffmann a retrouvé dans les archives du comité de soutien de très nombreuses lettres "de personnes qui se proposaient de remplacer mon père otage", dont un prêtre. Non pas par désespoir mais par générosité, "la majorité de ces lettres sont des hymnes à l’espérance à la joie", dit-il.
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