Le fait marquant de la semaine c’est forcément la composition du nouveau gouvernement. Jean Pruvost nous fait découvrir l'origine de ce mot, « gouvernement », mais aussi les mots de la même famille. A lui, le « gouvernement des mots » !
Quelle belle image ce serait d’associer un dictionnaire à une sorte de gouvernement des mots ! Attention cependant, dans nos dictionnaires d’hier surgissent parfois des emplois surprenants. Ainsi en est-il en 1668 d’Harpagon dans l’Avare déclarant à un serviteur de haute confiance : « Je vous constitue, pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ». Sous-entendu, faites des économies ! « Gouvernement » a alors un sens très large et pas nécessairement politique, même si choisir des bouteilles dans une cave n’est pas une mince affaire ! Ne pas oublier en définitive que le gouvernement d’une nation a quelque analogie avec ce que Montaigne appelle le « gouvernement » de notre propre maison. D’où des sens plus intimes du mot. J’ai par exemple déniché chez Anatole France dans « Les Opinions de Jérôme Coignard » publié en 1883 ce propos en écho à Molière : « Les gouvernements sont comme les vins » ils « se dépouillent et s’adoucissent avec le temps. » Bon, cher Pierre-Hugues, je crois qu’il est temps de revenir à plus de sobriété, en partant de la famille de ce mot.
Et puis les mots « gouverneur », « gouvernante »… On y ajoutera le « gouvernail », qui en vérité nous offre l’idée première. Tout commence en effet avec le grec « kubernân », diriger un navire, verbe devenant en latin « gubernare » avec le même sens. C’est sans conteste ce premier sens marin qu’on retrouve dans la locution déjà présente dans le Dictionnaire de l’Académie en 1694 : « On dit proverbialement qu’un Homme gouverne bien sa barque pour dire qu’Il conduit bien sa fortune, ses affaires. »
Si le mot « gouverner » est attesté en français vers 1050, « go[u]vernail » l’est à la fin du XIe siècle, et à propos de ce mot on peut lire en 1680 chez Richelet qu’« il ne faut pas embarrasser le port de gouvernaux ». Eh oui, Richelet le précise : « Ce mot est masculin & fait au pluriel gouvernaux ». Voilà qui était alors fondé sur le pluriel habituel des mots se terminant par « ail », mais dès le XVIIIe siècle presque tout le monde disait déjà « des gouvernails ». Quant au mot « gouverneur », apparu au XIIe siècle, il est issu du latin « gubernator » désignant d’abord celui qui tenait le « gouvernail », avant de devenir dans la Rome antique le consul nommé par le Sénat, à la tête d’une province.
Les dictionnaires n’enregistrent pas « gouverneuse », En fait à l’origine « la gouvernante » est la dame qui a en charge le gouvernement d’une province. Ainsi, comme le signale l’Académie en sa neuvième édition gratuite comme toutes les autres sur Internet, « plusieurs princesses de la maison d’Autriche furent gouvernantes des Pays-Bas. » De fait, on a surtout retenu la dame qui comme le décrit Richelet en 1680 « a soin d’un petit enfant de qualité […] et le gouverne jusques à ce qu’il ait cinq ou six ans lorsque c’est un garçon, et jusques à 7 ou 8 ans lorsque c’est une fille ». Il s’agissait bien des usages d’hier. On a appelé aussi « gouvernante » , « la femme d’un gouverneur » Et Richelet d’ajouter : « Madame la gouvernante est pleine de cœur ». Le gouverneur n’en aurait-il pas !
En 1736, dans son Dictionnaire de synonymes, l’abbé Girard donne pour synonymes de « gouvernement » « habileté, adresse et dextérité », affirmant qu’il « faut de l’habileté dans le prince ou dans ses ministres ; de l’adresse dans ceux à qui l’on confie la manœuvre du détail, et de la dextérité dans ceux à qui l’on commet l’exécution des ordres ». En somme bien gouverner, c’est ramer, en menant bien sa barque, gouvernail en main. Eh bien voilà, le programme est fixé ! Bon courage.
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