LA TRIBUNE DE CYRILLE PAYOT - Dans beaucoup de nos paroisses, la montée des extrêmes est un sujet qui inquiète, réjouit, culpabilise ou fâche. Sujet devenu presque tabou dans nos églises en cette période électorale législative. Se taire ou parler ? On nous reprochera les deux ! Et si nous nous focalisons sur la prière comme seule action valable, quel en sera le fruit si ce n’est en principe une parole qui engage nécessairement ?
La présidente du Conseil National de l’Église Protestante Unie de France, Emmanuelle Seybolt, adresse un communiqué relayé dans le Midi Libre, dans lequel elle déclare : "Pendant des décennies, nos synodes successifs ont affirmé que l’Évangile nous appelle à dépasser nos peurs, à résister au piège de la violence et à la tentation du rejet". Le mot est lâché : la tentation.
Vous l’aurez compris, il ne s'agit pas de prendre la parole en profitant de la peur du contexte pour faire la leçon… voter en son âme et conscience, au plus secret de l’isoloir, et dans la liberté de chacun, doit pouvoir se faire, à l’écart des tentations et des peurs. Rendre à César ce qui est à César, c’est lui rendre la monnaie de sa pièce, celle où figure l’effigie d’un pouvoir qui se proclame faussement divin en nous tenant par la peur. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est au contraire redonner une parole libre et espérante qui chemine avec nous sans effigie, avec nos questions, nos joies, nos peines, sans tabou et qui nous rappelle les fondamentaux. "Nous refusons de laisser l’Évangile servir d’argument pour exclure les uns et réduire au silence les autres", nous dit le communiqué. Le théologien D. Bonhoeffer écrivait ceci : "En matière éthique, il se peut que l’on se trompe, pourvu que l’essentiel ait été dit". Alors : où se trouve l’essentiel ? Peut-être déjà dans l’écoute des inquiétudes collectives, des rancœurs personnelles, des laissés pour compte de certaines politiques qui échouent aujourd’hui à apaiser et à unir…
Le plus grand danger aujourd’hui n’est pas l’ignorance, mais l’illusion de connaissance sur des sujets sur lesquels on se croit expert ! Le livre passionnant de Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, intitulé Où est le sens ?, écrivait en 2020 : "L'anthropologie nous a appris que l'être humain est un coopérateur capable de sacrifices immenses, à condition d'être persuadé que tous jouent le jeu autant que lui. […] Pour les citoyens de nos sociétés, il s'agit d'être convaincus que nul, du chef d'entreprise à l'agent immobilier jusqu'au président de la République, […] ne s'exonère des sacrifices qui sont demandés à tous." Sans doute cela explique-t-il les votes d’hier et de demain. Comme l’indique le communiqué de l’EPUdF, "c’est de reconnaissance que l’être humain a besoin, d’estime et d’attention, et non de mépris, de rejet et d’humiliation. Nous n’ignorons rien des situations de vie précaires, des injustices économiques et des violences sociales", mais ajoute le communiqué : "faire le malheur des uns ne fera pas le bonheur des autres".
Agir en résistant à nos tentations ! "Résister était ma seule liberté" écrivait la protestante Marie Durand dans son cachot, libérée après 38 ans de prison en 1768. Exactement deux siècles plus tard, le pasteur noir américain Martin Luther King montrait le chemin de la résistance face à la tentation : MLK n’a pas cherché à libérer les siens du racisme contre les blancs, mais à libérer l’homme blanc du racisme : “Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots” déclarait MLK. La tentation était grande d’agir autrement ! Aujourd’hui, le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France cite, dans son dernier communiqué, l’épître aux Hébreux : "Prenons soin les uns des autres" (Héb 10,24). C’est ce qui devrait commander notre vote. En cette période où "le pessimisme se vend bien" (comme disait Olivier Mongin), il nous appartient d’être les témoins d’une espérance dont le théologien Jurgen Moltmann fut un éminent porte-parole ; une théologie qu’il ramasse en une phrase : "la fin-le commencement", car dans toute fin, de règne ou de logique, il y a un commencement possible. Assurons-nous que le commencement, au lendemain des législatives, se fera sans haine et en accord avec nos principes de l’Évangile. C’est la liberté qui nous reste… la balle est dans notre camp !
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