LE POINT DE VUE D'AYMERIC CHRISTENSEN - "Coup de poker", "pari", "va-tout" : depuis dimanche, le vocabulaire du jeu est partout pour qualifier la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale… alors que les partis d’extrême droite ont frôlé les 40 % aux élections européennes !
La démocratie n’est pas un jeu. Et pourtant… cette image revient tout le temps en politique. Alors, voilà : le Président joue un "jeu dangereux"… tout en suppliant le pays de ne pas "jouer" le même, en portant le Rassemblement national au pouvoir.
Désavoué, dans l’impasse, Emmanuel Macron avait-il le choix ? Était-ce le dernier espoir de "sauver" la prochaine présidentielle ? Malheureusement, la "clarification" à laquelle il appelle ressemble surtout à un énième chantage à la République. Et le problème, c’est que face à l’extrême droite, les leçons de morale n’ont aucun effet.
Honnêtement : qui ne fait pas "le jeu" du RN ? Qu’est-ce qui ne fait pas "le jeu" des extrêmes ? Tenir le parti de Marine Le Pen à distance, ça le fait monter dans les sondages ; débattre avec lui le fait monter aussi. S’emparer de ses thématiques le fait progresser ; les lui abandonner, tout autant. Le diaboliser lui profite ; le normaliser, plus encore. C’est la force des populismes : ceux qui croient pouvoir se servir d’eux finissent toujours par leur servir de marchepied.
Alors, qui est responsable de cet échec collectif ? Bien sûr, politiques et médias n’ont pas tiré les leçons des "barrages" répétés. Mais n’écartons pas trop vite la responsabilité des électeurs… Dimanche, une personne sur deux seulement est allée voter. Et un tiers de ceux qui l’ont fait ont mis en tête un parti, le RN, notoirement marqué par le népotisme, et un politique, Jordan Bardella, la figure même du député absent et carriériste dont le pays dit par ailleurs ne plus vouloir…
C’est bien le drame : depuis 40 ans, on laisse l’extrême droite construire sa marche vers le pouvoir. Aujourd’hui, elle suscite tout autant un vote de sanction que d’adhésion, et même les bastions longtemps résistants (les jeunes, les cadres, les femmes, même les chrétiens…) s’alignent sur le reste de la société. Avec une inquiétante fracture entre les métropoles et le reste du territoire. Sur le terrain, le rejet de l’immigration s’est coagulé aux préoccupations sociales, au point qu’il devient difficile de les séparer.
Toute la question est de savoir si la démocratie est remise en jeu… ou simplement mise en joue ? Face à l’extrême droite, toutes les stratégies ont été tentées. Tabler, comme le fait le Président, sur un sursaut électoral ou, à défaut, un échec du RN au pouvoir, c’est encore de la tactique politique, et pas la plus noble.
Au fond, il n’y a qu’une option qui n’a jamais été pleinement mise en œuvre (et vous allez voir, elle est audacieuse) : c’est répondre concrètement aux maux exprimés par le pays, en matière de pouvoir d’achat, de services publics, d’inquiétude sécuritaire et d’angoisses existentielles.
En somme : gouverner non pas pour des segments électoraux ou des marchés financiers, mais humblement, pour le bien commun et la justice, en fixant des priorités réalistes et en s’y tenant. Pas pour faire baisser le RN, mais d’abord pour le bien de chaque personne.
Oui, mais j’en ai un autre : que l’électrochoc rappelle que chaque bulletin porte une petite part de la solution. Car si la démocratie n’est pas un jeu, les cartes sont tout de même dans nos mains.
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