8 septembre 2021
Quand tu auras mon âge tu comprendras !
« Quand tu auras mon âge, tu comprendras !"
D’un leitmotiv de ma mère, ses 20 dernières années : « Tu verras quand tu auras mon âge tu comprendras ». Insistant elle me disait : « je vois bien dans le regard des gens que nous les vieux, on est en trop ». Maman est décédée en 2019 à 99 ans.
En 2012, elle désirait retourner une dernière fois à Lourdes. Les voyages organisés à Lourdes ont rythmé sa vie de paysanne pratiquantes du Nord des Deux Sèvres. Pour mes parents, très occupé par la ferme, durant les années 50—70 du siècle dernier, La semaine de pèlerinage à Lourdes étaient les seules vacances possibles et pensables. Je l’ai accompagné à 92 ans pour son ultime pèlerinage sur les pas de la Vierge. Nous sommes restés une semaine, maman enthousiaste de retrouver ce lieu empli de souvenir et heureuse de retrouver ses marques dévotionnelles.
Au retour je décide de m’arrêter dans un restaurant. Nous entrons, longeons une suite de tables joyeuses et animées. Elle passe auprès d’eux lentement soutenue par sa canne, s’assoit puis elle se penche vers moi, s’approche de mon oreille et me chuchote : « Mais, qu’est-ce qu’elle fou cette vielle ici ! ». « Maman pourquoi tu dis cela » l’interrogeais-je ?« c’est plein de jeune ici, je vois bien dans leurs regards que c’est ce qu’ils pensent. Entre eux, ils doivent rires de moi ».
Excuse-moi, mais elle était peut-être un peu parano votre mère ?
Peut-être… ! Ou bien a-t-elle simplement le sentiment d’être vieille, dans le regard des jeunes. L’été dernier une amie de 68 ans, me disait : « Seule à la fête de la musique, j’avais le sentiment de ne pas avoir ma place parmi ces jeunes ».
S’éprouver en trop n’est pas de la paranoïa mais un sentiment diffus, partagé par beaucoup de personnes âgées. Dans un livre éclairant ce sujet qui a pour titre « bienheureuse vieillesse » publié en 2015 Robert Redeker, agrégé de philosophie écrit « Si la destruction du sens se dit « nihilisme ». Le nihilisme s’abat sur la vieillesse comme les étourneaux affamés sur un cerisier »… « Beaucoup de contemporain n’ont même pas le souvenir que la vieillesse ait pu un jour avoir un sens, qu’elle ait pu briller dans le ciel de l’existence comme l’étoile suprême. Qu’elle ait pu, être en dépit de ses misères, tenue pour enviable ».
Aujourd’hui la vieillesse n’a pu rien à faire dans la vie elle est de trop. Dans les pays occidentaux au bout de plus d’un demi-siècle de révolution consuméristes ce sont les vieux qui forment la classe d’âge menaçante, celle contre qui un discours social est amené à se construire.
La révolution consumériste à rendu la vieillesse invisible et honteuse.
Mais pourquoi ?
Je continue à citer Redekker : L’obsolescence programmée étant la loi de la consommation.
Que peut-on faire des vieux ? Doit-on les stocker comme on stock des déchets nucléaires ? C’est-à- dire sans savoir ce qu’on peut faire d’eux. Et dans ce cas ou les stocker ?
La réponse jaillit : dans les maisons de retraite, dans les villages-ghettos, dans les EPHAD enfermé, enterré comme le sont les lieux de stockage des déchets encombrants ».
Ne trouvez-vous pas qu’il exagère Robert Redekker ?
Son texte est incontestablement polémique et provocateur. Pourtant, en 2020 à l’occasion du 1er confinement, les réseaux sociaux se sont questionnés et enflammés posant les questions suivantes :
« Le gouvernement avait-il raison de confiner et paralyser l’économie pour sauver les vieux ? Sauver des personnes en fin de vie n’est-ce pas inutile et couteux ? N’aurait-il pas dû les laisser mourir pour ne pas mettre en difficulté l’économie et l’avenir des plus jeunes comme l’a fait La Suède ».
Rassurons-nous l’immense majorité des français a approuvé les décisions gouvernementales. Mais le problème sociétal du rejet de la vieillesse reste entier.
Droits image: La joie d'être vieux - © RCF Sarthe (Maximilien Cadiou)