26 janvier 2023
L’écrivain du monde et ses lecteurs
Il y a une dizaine de jour, j’ai assisté à la soutenance de thèse de doctorat d’une amie. Son sujet portait notamment sur le métissage chez l’écrivain et académicien franco-libanais Amin Maalouf.
Cela est pour moi l’occasion d’évoquer avec vous une conférence du père Gabriel Ringlet Spiritualité avec ou sans Dieu à laquelle j’ai assisté à Lyon en Novembre 2010. Il y avait expliqué que « pour Amin Maalouf, Dieu est l’écrivain du monde ». Ainsi, comme tout écrivain a besoin de lecteurs, Dieu a besoin des hommes. Les hommes sont
donc coresponsables du monde, Dans son essai Le dérèglement du monde, e paru chez Grasset en 2009, Amin Maalouf estime que le monde ne sera sauvé que par le respect de la culture.
Aussi prône-t’-il « une échelle des valeurs basée sur la culture » comme condition pour toute approche éthique et, en l’occurrence, pour toute approche humaniste.
Pourquoi donc la culture ? Pourquoi Amin Maalouf considère-t-il que « notre échelle des valeurs ne peut que se fonder que sur la primauté de la culture et de l’enseignement » ? me demanderez-vous. Les valeurs traditionnelles, philosophiques ou religieuses, seraient-elles
insuffisantes ou inadaptées ? Les questions éthiques qui se posent actuellement sont vraiment des questions pressantes pour la survie de l’humanité. Dès 2009, Amin Maalouf constatait « Le XXIème siècle sera sauvé par la culture ou bien il sombrera ». Il précisait par ailleurs
que son socle éthique, la culture, n’exclut pas pour autant les grandes traditions religieuses et philosophiques. De fait, l’invention de nouvelles valeurs n’est pas la tâche d’un seul homme ou d’un petit groupe de penseurs. Pour Maalouf, elle est celle de « tous nos contemporains,
femmes et hommes de toutes origines, et ils n’ont pas d’autre choix que de l’assumer » Par cette constatation Amin Maalouf est à rapprocher du théologien catholique suisse Hans Küng, décédé en 2021, qui a longuement développé cette idée dans son livre Projet d’éthique
planétaire, paru aux éditions du Seuil en 1991, mais qui n’a rien perdu de son actualité, tout comme l’essai de Maalouf, dans lequel nous pouvons lire les précieuses lignes suivantes : « Si nous tenons à préserver la paix civile dans nos pays, dans nos villes, dans nos quartiers,
comme sur l’ensemble de la planète, si nous souhaitons que la diversité humaine se traduise par une coexistence harmonieuse plutôt que par des tensions génératrices de violence, nous ne pouvons plus nous permettre de connaître les « autres » de manière approximative,
superficielle, grossière. Nous avons besoin de les connaître avec subtilité, de près, je dirai même dans leur intimité. » Ce qu’Amin Maalouf préconise ici, je le fais depuis la mi-décembre et pour quelques semaines encore en Algérie.
Autour de moi, j’entends souvent prononcé Inch’Allah, si Dieu le veut. Je m’interroge : si nos frères et sœurs musulmans accordent une telle importance à la volonté divine, comment peuvent-ils développer une éthique de responsabilité pour autrui et envers le futur ? Mais nous chrétiens, nous nous adressons bien à Notre Père qui est aux cieux avec les mots suivants : « Que ta volonté soit faite », sans que cela nous dédouane de notre responsabilité pour autrui.
Dans le Coran – Sourate 5, verset 32 – on lit « Qui tue un être humain a tué toute l’humanité ». Au nom de sa foi musulmane, l’émir Abd el-Kader a protégé et sauvé en plusieurs milliers de chrétiens de Damas menacés de mort ; des hommes avec qui il n’avait pas grand-chose en
commun sauf l’essentiel : leur humanité. S’il y a un droit musulman, pour l’émir Abd el- Kader « il y a un droit de l’humanité au-dessus du droit musulman ». C’est dans ce même esprit que de nombreuses personnalités musulmanes ont lancé, dès janvier 2011, un appel
pour sensibiliser l’opinion au sort des chrétiens d’Orient, bien avant que les grands médias s’en saisissent.
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