9 février 2023
Le monde à l’envers ?
Comme les auditeurs qui me suivent le savent, depuis la mi-décembre mes chroniques leur arrivent de Tlemcen en Algérie par le miracle d’internet. Le 12 janvier, j’ai fêté avec mes amis Yennayer, le nouvel-an berbère. Cette coutume, enracinée dans la culture berbère dès les temps immémoriaux est rattachée au calendrier agraire, julien. Dans la région de Tlemcen, en commence par « Ayrad », une sorte de carnaval ancestral où les enfants passent, en procession de demeure en demeure, chantant, dansant et quémandant des dons d’aliments que les habitants leur tendent de bonne grâce par solidarité et par respect à Yennayer.
Alors que nous chrétiens, sommes à une semaine du début de carême, et que c’est donc carnaval je voudrais en profiter pour vous parler des pratiques carnavalesques qui en fait préexistent au terme de Carnaval. Le principe comique qui préside aux rites du carnaval les affranchit totalement de tout dogmatisme religieux ou ecclésiastique, du mysticisme, de la piété. Ainsi certaines formes carnavalesques sont même une véritable parodie du culte religieux.
Je suis originaire de l’espace rhénan, et les pratiques carnavalesques restent pour moi inséparables de Till Eulenspiegel, ou si vous préférez Till L’Espiègle. Till brandit un miroir (Spiegel) de la main gauche, tandis qu'une chouette (Eule) est perchée sur sa main droite ; il offre au monde son image, et son apparente folie est le déguisement d'une sagesse. Il incarne aussi plus généralement le triomphe de l'esprit de liberté sur l'ordre établi, de l'individu marginal sur la société, de l'errant sur les sédentaires. Il est l'anticonformiste qui, pour railler la folie des hommes, se cache sous le masque de la folie, se grise de mouvement, joue de sa mobilité, de son agilité et de sa verve pour ébranler les certitudes et les structures, sème le désordre, bouscule le langage. Les auditeurs intéressés trouveront à la médiathèque de St-Max Till Eulenspiegel : la vie de l'illustre fou, jongleur de mots et fin connaisseur de la condition humaine nouvellement racontée par Karlhans Frank en 1992.
Mulla Nasrudin, appelé Djeha ou J’ha dans le Maghreb est le Till l'Espiègle du Moyen-Orient, tour à tour poète farceur et roublard, sage et philosophe, formé à Konya chez les derviches, dit la tradition. Subversif, ce bouffon insolent, anti-héros populaire pourfend avec humour et une intelligence faussement naïve l'oppression, la corruption, l'injustice et la vanité des puissants dans tout le monde musulman. Ses histoires sont utilisées comme des exercices permettant d’accéder à une sagesse supérieure. Le soufisme, courant mystique de l’Islam, est né dans le siècle qui a suivi la mort de Mahomet et a probablement été influencé, à son origine, par les ermites chrétiens. Plus tard, le soufisme comptera à son retour parmi les influences spirituelles de figures importantes du, catholicisme telles que Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix.
Pour finir la chronique, je voudrais vous raconter l’histoire suivante de Nasrudin qui fait le lien avec ma chronique précédente que vous pouvez réécouter sur le site de RCF Lorraine Nancy.
Nasrudin a économisé pour s’acheter une chemise. Tout excité, il court chez le tailleur, qui prend ses mesures. « Reviens dans huit jours, lui dit-il. Si Dieu le veut, ta chemise sera prête. » Nasrudin revient chez le tailleur une semaine plus tard. « J’ai pris du retard. Si Dieu le veut, ta chemise sera prête demain. » Nasrudin revient le lendemain. « Je regrette d’avoir à te dire que ce n’est pas tout à fait prêt. Passe me voir demain. Si Dieu le veut ce sera terminé. Nasrudin, exaspéré, demande combien de temps cela prendra-t-il, si on laisse Dieu de côté ? »
Droits image: Dans un regard chrétien sur le monde, les bénévoles donnent leur point de vue sur une actualité.