Malgré le démantèlement de la "jungle" en 2016, des centaines de migrants campent toujours à Calais dans l'espoir de traverser la Manche. En vertu de la doctrine du "zéro point de fixation", les forces de l'ordre passent tous les deux jours les déloger de leurs tentes. Pour le journaliste Louis Witter, auteur d'une enquête sur le sujet, c'est une véritable chasse à l'homme.
Moins médiatisée aujourd'hui, la réalité de Calais n'en est pas moins dure. « La situation à Calais aujourd'hui est un peu la même depuis 2016 et le démantèlement organisé par Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur à l'époque, de ce qu'on a appelé la "grande jungle" », explique Louis Witter, photoreporter et auteur de "La Battue - L'État, la police et les étrangers" (éd. Seuil, 2023), une vaste enquête sur les camps de migrants du Nord et du Pas-de-Calais.
Le harcèlement par la police envers les migrants de Calais s'apparente selon lui à une battue. « Le terme de "battue", qui vient de la chasse, m'est apparu comme complètement adéquat à la situation à mesure que j'assistais aux expulsions », explique Louis Witter. Car aucune accalmie n'est laissée aux migrants, qui sont délogés toutes les 48 heures. "Concrètement, ça signifie ne laisser aucun répit aux personnes exilées qui survivent à nos frontières, en empêchant tout campement de se reformer, en empêchant les distributions alimentaires, en empêchant aux personnes de traverser la Manche."
À Calais, ces populations fuient à 90% des conflits, je pense qu'il faut le rappeler. À la manière des Ukrainiens qu'on accueille à bras ouverts, ces personnes fuient des conflits
À Calais, le profil des migrants est relativement homogène. "Les personnes sont en majorité originaires du Soudan ou d'Érythrée", détaille le photographe. "Ces populations fuient à 90% des conflits, je pense qu'il faut le rappeler. À la manière des Ukrainiens qu'on accueille à bras ouverts, ces personnes fuient des conflits", souligne-t-il.
Hormis leur statut de migrants, les exilés d'aujourd'hui n'ont rien de commun avec leurs premiers prédécesseurs, arrivés à Calais dans les années 1990 et alors majoritairement originaires des pays de l'ex-URSS. Les habitants du littoral continuent pourtant de désigner les nouveaux venus comme ceux d'hier : « Les "koso", pour "Kosovars", est une expression qu'on entend encore dans la bouche de certains vieux Calaisiens, dans les troquets, dans les bars, dans les cafés, alors qu'aujourd'hui les personnes ne sont plus du tout originaires du Kosovo. »
Contrairement aux idées reçues, les rangs des bénévoles ne sont pas garnis seulement de militants des droits de l'homme. Les habitants locaux s'engagent aussi. "Il y a une opposition qui a souvent été faite entre les bénévoles qui viendraient de Paris, des étudiants riches ou des Anglais no boarder (anti-frontières), et des Calaisiens qui n'en peuvent plus", relève le photoreporter avant de livrer son témoignage : "Moi, ce que j'ai constaté c'est qu'il y a quand même une énorme solidarité de la part des Calaisiens et des Calaisiennes."
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Il insiste sur la grande variété des profils parmi les bénévoles. "Dans les profils il y a de tout. Il y a des étudiants, des actifs, des retraités, des paroissiens, des militants anarchistes." Il évoque la révolte qui les anime et les unit tous : "Je pense que leur point commun est une indignation permanente de la situation, c'est de ne pas pouvoir fermer les yeux et de ne pas de ne pas pouvoir ne rien faire face à ce qui se passe".
Y-a-t-il un ilôt d'espérance dans cet océan de malheur ? Au gré de leurs parcours souvent cabossés, les migrants ont appris à ne rien attendre des Etats : "En revanche, de la part des citoyens, des citoyennes, des militants dans des groupes politiques, religieux, elles ont trouvé une main tendue, je pense que c'est un dénominateur commun". Tout n'est pas vain.
La Battue, Louis Witter, Editions du Seuil, 18 euros
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