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Crédits carbone : le "droit à polluer" en négociation à la COP 28

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 12 décembre 2023 - Modifié le 12 décembre 2023
Le dossier de la rédactionClimat : voyage au Far west de crédits carbone, en négociation à la COP28

À la COP 28, dans l’ombre des énergies fossiles, une autre question a fait l’objet de vifs débats : les crédits carbone. Ce mécanisme permet aux entreprises et aux États d’acheter ce que les ONG dénoncent comme “des droits à polluer”, en finançant des projets pour le climat. Sauf qu’aujourd’hui ce marché fait débat tant par son manque de régulation, que par sa philosophie même, en termes de lutte contre le changement climatique.

Forêt primaire du parc national Obo à Sao Tomé et Principe en Afrique centrale. / Photographie par Antoine Boureau - Hans Lucas.Forêt primaire du parc national Obo à Sao Tomé et Principe en Afrique centrale. / Photographie par Antoine Boureau - Hans Lucas.

Les défenseurs du climat parlent d’une “jungle, ou du “Far west”. Le marché des crédits carbone s’est développé depuis les accords de Paris en 2015. Mais le concept remonte à beaucoup plus loin.

De la pêche au crédit carbone

Il faut revenir aux années 70 dans les pêcheries canadiennes ou néo-zélandaises pour voir émerger l'ancêtre du mécanisme qui nous intéresse aujourd’hui. “On voit apparaître des systèmes de plafonnement et d’échange” explique Alain Karsenty, économiste et chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).

Il s’agit au départ de régler le problème de la surpêche, lorsqu’on se rend compte que la ressource poissonnière est limitée. “Des quotas annuels sont distribués aux pêcheurs et ils peuvent dépasser ce tonnage maximum à condition de trouver d’autres pêcheurs qui n’ont pas épuisé leur quota ” détaille l’économiste. Les pêcheurs vont donc pouvoir décider de pêcher moins et de vendre leur quota à un autre professionnel.

Les crédits carbone sont générés par des projets de réduction des émissions

Ce système a été transposé aux émissions de CO2 lors du protocole de Kyoto en 1997. L’objectif était de permettre aux entreprises de compenser leurs émissions. Celles qui ne dépassaient pas leur quota pouvaient vendre cette marge aux entreprises qui dépassaient leur quota. Le système s’est vite avéré trop dur à tenir pour les entreprises : c’est là qu’interviennent les crédits carbone.

Planter des arbres ou des éoliennes pour des crédits carbone

Les crédits carbone sont générés par des projets de réduction des émissions” décrit Alain Karsenty. Pour les entreprises, la participation à ces projets va permettre de générer des crédits carbone. “Dans le monde entier, vous trouverez des entrepreneurs qui construisent des champs d’éoliennes et qui expliquent que sans ces éoliennes, l’électricité aurait continué d’être produite au charbon” dénombre-t-il. Ce type de projet va permettre de commercialiser les fameux crédits carbone.

Les régulations sont très faibles et les certificateurs ont été épinglés à plusieurs reprises

Beaucoup de crédits carbone sont obtenus en financement des projets dans les pays du sudprécise Guillaume Compain, chargé de plaidoyer climat chez Oxfam France. “On parle de conservation d’écosystème, de plantation d'arbres, de gestion durable des sols et on pense bien sûr à l’Amazonie ou à l’Afrique Centrale” ajoute-t-il. Il faut donc bien comprendre que pour la communauté internationale, ce marché est vu comme une source de financement importante pour la transition énergétique.

La jungle des crédits carbone

Sauf que ce marché est un Far west dénoncent plusieurs ONG.Les régulations sont très faibles, les certificateurs ont été épinglés à plusieurs reprises pour la violation de droits humains ou pour le manque de contrôle concernant l’impact carbone réel des projets” regrette Guillaume Compain. Ce sont des organismes privés qui se sont spécialisés dans la certification, comme l’organisme Verra. Sauf que le Guardian a révélé en janvier dernier que la quasi-totalité des certificats de Verra, 90 % étaient des crédits fantômes.

Le grand jeu consiste par exemple à protéger des forêts en surestimant les menaces qui pèsent sur ces forêts” révèle Alain Karsenty. Cela permet ainsi de générer plus de crédits carbone, qui sont en fait des crédits fantômes. Les militants du climat réclament donc un cadre plus clair pour ce marché. “Au sein même de l’ONU, il y a des discussions pour fiabiliser les projets” indique Guillaume Compain. “Le problème, c’est que les négociations vont pour l’instant dans l’impasse” s’attriste-t-il. Ces points font partis des discussions qui ont eu lieu à la COP28 à Dubaï. 

Philosophie du système

Au-delà des dérives du système, c’est sa philosophie même qui interroge. “Les marchés et la compensation carbone sont une façon de donner un blanc-seing à la pollution de grandes entreprises qui vont pouvoir acheter des crédits carbones sans changer leur niveau d’émissions” s’émeut le responsable climat d’Oxfam qui dénonce une forme de greenwashing. “On prétend compenser nos émissions en plantant des arbres et en achetant des crédits carbones en s’appuyant sur l’équation : +1 - 1 = 0” décompose Alain Karsenty, “sauf que pour la science du climat, cette équation ne fonctionne pas” prévient-il.

Il y a un effet de déresponsabilisation des citoyens concernant leur empreinte carbone

Le pire selon le chercheur de la CIRAD, c’est le message qu’envoie aux citoyens ce marché des crédits carbone. “Lorsqu’une compagnie aérienne assure que tous ses vols sont compensés en carbone, c’est un message qu’elle envoie au consommateur” développe Alain Karsenty. Il y a un effet de déresponsabilisation des citoyens concernant leur empreinte carbone conclut-il. 

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