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Guerre en Ukraine : "Dans l'esprit des deux belligérants, la sortie politique devient la seule issue possible"

Un article rédigé par Suzanne Marion et Baptiste Madinier - RCF, le 22 août 2024 - Modifié le 29 août 2024
L'invité du 18/19Invasion surprise de l'Ukraine en Russie, avec Thibault Fouillet

Après son incursion sur le sol russe, dans la région de Koursk, l’armée ukrainienne se prépare désormais à la contre-offensive de Moscou. La zone tampon de 1200 kilomètres carrés, créée par surprise par Kiev en territoire russe, peut-elle tenir ? Cette incursion, peut-elle changer le cours de la guerre alors que l’armée du Kremlin continue d’avancer dans le Donbass ? Entretien avec le spécialiste en géostratégie, Thibault Fouillet. 

Un soldat ukrainien dans la région de Kharkiv en Ukraine / Photo : Antoni Lallican by HansLucasUn soldat ukrainien dans la région de Kharkiv en Ukraine / Photo : Antoni Lallican by HansLucas

Après l'incursion en Russie, l’armée ukrainienne affirme contrôler 1 263 kilomètres carrés et plus de 100 localités dans la région de Koursk. La plus grosse prise de Kiev reste pour l’instant la petite ville de Soudja, qui comptait 5 500 habitants. Un moyen de créer une zone tampon, de renverser symboliquement le momentum stratégique et de gêner l’avancée russe dans le Donbass. 

Sauf que Moscou continue sa poussée dans le Donbass et prépare une contre-offensive dans la région de Koursk. Les analystes militaires ne voient donc pas dans cette incursion ukrainienne un tournant de la guerre. Selon le chercheur Thibault Fouillet cet épisode révèle quand même un changement de logique de la part des deux belligérants quant à l’issue de cette guerre. Il est directeur scientifique à l'Institut de Stratégie et de Défense de l'Université Jean Moulin Lyon III. Décryptage. 

L'invasion ukrainienne peut-elle vraiment modifier le rapport de force avec la Russie où est-ce surtout symbolique ?

S'il s'agit de modifier le rapport de force au sens de renverser la table : non. L'incursion ukrainienne ne va pas empêcher les Russes d'avancer. On peut même dire que la pression augmente dans le Donbass. Ce n'est pas non plus ce qui va forcer la Russie à déposer les armes. En revanche, on assiste à une évolution des dynamiques parce que pour la première fois dans ce conflit, les deux belligérants sont simultanément à l'offensive. On a surtout un nouveau tournant très symbolique, très politique, avec une action ukrainienne durable en territoire russe.

Et ça, c'est important, notamment pour les soldats ukrainiens et la population ukrainienne ? De ne plus être seulement sur la défensive ? 

Tout à fait. En fait, on voit bien qu'il y a un double effort de communication, très bien relayé dans les discours de Volodymyr Zelensky. L'objectif est de montrer que l'Ukraine est capable d'avancer et d'attaquer, contrairement à ce que tout le monde pense depuis des mois avec une Ukraine sur la défensive. On parlait parfois d'une rupture possible ou de pénurie de munitions et d'hommes. On voit même des paroles de soldats qui se libèrent. Ils disent que ça leur fait du bien de porter la guerre chez l'ennemi.

Et justement, il y a également une communication externe. Il s'agit de montrer que l'Ukraine est capable d'aller aussi en Russie, de porter la guerre sur le territoire russe et de mettre à mal le discours de Vladimir Poutine, qui parle d'une opération spéciale sous contrôle.

Comment analysez-vous la réaction ou la non-réaction de la Russie à cette incursion ?

Il y a deux angles de lecture. Un premier très politique. Il est très difficile pour Vladimir Poutine de reconnaître des difficultés ou une invasion d'ampleur alors qu'on parle toujours "d'opération spéciale" et d'une opération sous contrôle. D'ailleurs, les premiers qualificatifs, côté Vladimir Poutine, c'était de parler de "forces antiterroristes". On voit bien le décalage.

Le politique est revenu sur le devant de la table et les deux partis parlent de négociations

La deuxième clé de lecture est une problématique opérationnelle. C'est l'un des enjeux de cette offensive de Koursk. Une fois que les simples frappes d'artillerie initiale n'ont pas fonctionné, il y a deux possibilités pour y répondre. Soit vous prenez des troupes qui sont à l'offensive dans le Donbass et vous les ramenez, mais c'est au détriment des opérations en cours, et c'est ce que les Ukrainiens cherchent à faire. Soit vous amenez des réserves depuis l'intérieur du territoire russe. C'est ce qui semble avoir été privilégié par le commandement russe, mais dans ces cas-là, ça prend du temps. Il faut monter les unités, les rassembler et ensuite les acheminer pour pouvoir faire les contre-attaques. Ce qui explique en partie ce délai.

Donc, on peut s'attendre à une contre-attaque dans les semaines ou les mois à venir ?

Oui, dans les jours et semaines à venir même. Là, l'enjeu principal est de savoir ce que va donner cette contre-attaque ? Il y a trois possibilités : soit elle est éclair, très efficace et elle met fin à l'incursion ukrainienne, soit elle donne des résultats mitigés et les Ukrainiens continuent de vouloir tenir cette zone Koursk et donc ça ouvre un nouveau front avec ce que ça implique de moyens à donner, soit, la contre-offensive russe n'est pas très efficace, mais les Ukrainiens choisissent quand même de limiter leur emprise, de limiter leurs opérations pour pouvoir conserver leurs réserves ailleurs. L'enjeu le plus important, maintenant, est de regarder l'ampleur et les objectifs de cette contre-offensive russe. Est-ce qu'on met des moyens très importants pour réduire ce front-là ou est-ce que la priorité est toujours la reprise du Donbass ?

L’armée ukrainienne a-t-elle réussi à établir une zone tampon dans la région de Koursk comme c’était sa volonté ? 

À l'instant T oui, cette zone tampon existe. Cette zone tampon, c'est quoi ? C'est une profondeur suffisante dans le territoire russe pour repousser l'artillerie, repousser les unités russes et faire que les unités de la contre-offensive ne frappent pas du côté ukrainien dans la zone autour de la ville de Soumy.

Le président ukrainien appelle désormais Moscou à la table des négociations pour établir une paix juste. Ça serait quoi une paix juste ?

C'est toute la question et cette logique est très intéressante. Des deux côtés, le politique est revenu sur le devant de la table et les deux parlent de négociations. Pour la première fois, Poutine affirme que les Ukrainiens cherchent des gages pour les futures négociations. Dans l'esprit des deux belligérants, cette sortie politique devient la seule sortie possible. Ensuite, côté ukrainien, avoir une paix juste signifie avoir des garanties de sécurité suffisantes sur le long terme pour être certains que cela ne recommence pas dans cinq ou dix ans.

Tout l'enjeu est de trouver des compromis sur les zones qui sont pour l'instant annexées et tenues par les Russes, un compromis définitif sur la Crimée, trouver des garanties de sécurité, mais aussi régler les éventuelles réparations et dommages de guerre. Ce sont des problématiques multicouches. D'où la difficulté de se mettre à la table des négociations et à arriver à un accord des deux côtés.

En parallèle de l’offensive ukrainienne sur Koursk, l’armée russe continue d'avancer dans le Donbass et s'approche de la ville Pokrovsk. La prise de cette ville pourrait être un tournant dans la guerre ? 

En tout cas, ce serait un tournant important dans cette région-là et dans cette zone-là, parce que c'est un nœud logistique et un nœud défensif important qui forcerait la ligne de défense ukrainienne à reculer et qui assoirait un contrôle quasi-total de la Russie sur le Donbass. C’est un objectif présenté comme prioritaire par les Russes depuis avril 2022 et le retrait de la zone de Kiev. Donc symboliquement, politiquement et opérationnellement, ce serait un pas important. On constate d’ailleurs l’importance de cet objectif, car même l’offensive ukrainienne sur Koursk n'arrête pas les poussées russes dans le Donbass. Même une incursion ukrainienne en territoire russe ne suffit pas à arrêter cette offensive dans le Donbass pour amener des renforts ailleurs.

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