La dépendance vis-à-vis des énergies fossiles russes et la déstabilisation du marché des céréales, révélées par la guerre en Ukraine, pourraient faire patiner les stratégies des États en matière environnementale.
"Nous marchons les yeux fermés vers la catastrophe climatique" : lundi 21 mars, le secrétaire général des Nations Unis a lancé une nouvelle alerte. D’après Antonio Guterres, l’objectif de limitation de la hausse des températures à 1,5 degré d’ici la fin du siècle est en "soins critiques". Et la lutte contre le réchauffement climatique pourrait être une autre victime de la guerre en Ukraine, puisque l’activité des armées a des conséquences sur l’environnement, même en temps de paix.
"Il faut penser à l’industrie, à l’entraînement, aux tests de munitions, souligne Adrien Estève, postdoctorant au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, résident à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem). Tout cela engendre des pollutions. Et puis en temps de guerre, les armées émettent du carbone puisqu’elles sont très dépendantes au fioul. Les bombardements produisent des dommages sur les villes, mais aussi sur les paysages. Et il faut signaler l’usage d’armes chimiques et biologiques, dont on ne sait pas si elles seront employées, mais qui pourraient avoir des effets sur le long terme." La forte présence de centrales nucléaires en Ukraine fait aussi peser une menace supplémentaire sur l’environnement.
Au-delà des activités de guerre en elles-mêmes, le conflit russo-ukrainien a également des conséquences directes sur les stratégies mondiales prévues pour la transition écologique. D’abord en ce qui concerne l’agriculture : l’Ukraine était jusqu’à présent le grenier de l’Europe. Alors pour pallier un potentiel manque de production de céréales, certains pays européens (dont la France) veulent arriver à une véritable souveraineté alimentaire, en augmentant les capacités de production. Une démarche qui va à l’encontre du plan "Farm to fork" ("De la ferme à la fourchette") prévu dans le cadre du Green deal, le grand Pacte vert européen. Il doit normalement permettre une transition vers un système alimentaire durable, en prévoyant que "25% des surfaces agricoles au sein de l’Union soient bio d’ici 2030, en stoppant les importations de soja, en réduisant de moitié les pesticides et de 20% les engrais", précise Laurence Marandola, secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
"C’est la seule solution pour faire face à l’urgence climatique et pour continuer à produire demain, estime-t-elle. La guerre en Ukraine ne justifie pas de remettre en cause cette stratégie, comme le fait la France après l’avoir encouragée. On nous dit qu’il faut l’oublier pendant quelques années pour gérer cette crise. Mais c’est maintenant qu’il faut la mettre en place puisque c’est maintenant qu’il y a des problèmes de fertilité des sols et de perte de biodiversité." Pour Laurence Marandola, le problème n’est pas tant lié au manque de céréales et donc au manque de production, mais plutôt à la façon d’utiliser les stocks, et de réguler les prix.
Au-delà de ce débat sur l’opportunité, ou non, d’encourager l’agriculture intensive, l’autre grand enjeu révélé par cette guerre concerne l’utilisation des énergies. L’Europe importe 40% de son gaz naturel depuis la Russie, et cherche à s’en émanciper. La Commission européenne a d’ailleurs présenté un plan pour réduire de deux tiers ses importations d’ici fin 2022. Pour y arriver, elle prévoit notamment de diversifier ses approvisionnements, en ayant recours au gaz naturel liquéfié (GNL). Les États-Unis prévoient d’en fournir 15 milliards de mètres cubes supplémentaires, cette année.
"Le GNL, comme le gaz naturel, engendre énormément d’émissions de gaz à effet de serre, d’autant qu’il est importé par bateau, regrette Neil Makaroff, responsable des politiques européennes au sein du Réseau Action Climat. Le risque de parier sur le gaz naturel liquéfié, c’est de construire de nouvelles infrastructures en Europe pour l’importer, et de bloquer les Européens dans cette dépendance au gaz plutôt que de se sevrer de cette addiction aux énergies fossiles."
La guerre a donc des conséquences sur l’environnement, et vice versa : d’après Adrien Estève, la transition écologique pourrait être une solution pour limiter les tensions entre États, en réduisant leur interdépendance. "Mais cela ne va pas forcément aller dans le sens de la transition écologique", regrette le postdoctorant. "Certains pays se tournent vers le nucléaire, qui n’émet pas de carbone mais qui a un coût écologique important, rappelle-t-il. Cela peut aussi encourager des États à explorer des ressources en gaz sur leur territoire, notamment en gaz de schiste, une énergie très polluante."
Malgré tout, Neil Makaroff espère que ce contexte, ajouté à la crise sanitaire, va pousser de nombreux citoyens à davantage de sobriété. "Leur prise de conscience fait partie de la solution, d’après le représentant du Réseau Action Climat. On peut limiter notre vitesse de 130 à 110 km/h sur l’autoroute pour réduire notre dépendance au pétrole russe, ou bien baisser la température d’un degré dans nos logements pour faire des économies considérables de gaz. Mais il faut aussi que les pouvoirs publics accompagnent les citoyens, par exemple en favorisant les transports publics. La guerre en Ukraine doit être un électrochoc pour l’Europe."
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