Ajaccio
La visite du Pape en Corse est au cœur de l’actualité, et c’est ce que Jean de Pruvot commente aujourd’hui en explorant l’histoire des mots. Deux termes retiennent l’attention : la "visite", un mot loin d’être anodin, et la "Corse", surnommée l’"Île de Beauté", une appellation qui porte en elle toute une histoire.
Le mot "visite" est omniprésent dans les articles relatant le voyage du Pape en Corse, une île dont l’histoire et la géographie la lient intimement à l’Italie. Pourtant, l’origine et l’évolution de ce terme révèlent une profondeur parfois méconnue. Issu du verbe "visiter", la "visite" est un "déverbal" apparu au XIVe siècle. Ce verbe lui-même provient du latin visitare, signifiant "venir voir", une forme répétitive du verbe visere, "voir". Cette forme répétée, appelée "fréquentatif" en linguistique, exprime une action insistante ou récurrente : "voir souvent". Dans le langage chrétien, visitare prend un sens spirituel : il peut désigner une intervention divine destinée à secourir, mais aussi à juger, éprouver, voire châtier. De là découle un sens d’"inspection", une connotation qui persiste encore aujourd’hui.
Heureusement, des usages plus positifs sont venus enrichir ce mot. Dans un contexte médical, les "visiteuses" apportaient leur aide aux malades et aux pauvres. Plus tard, le tourisme a popularisé l’idée de "visiter un pays". Le substantif "visite" a suivi la même évolution : il désignait d’abord une inspection ou un examen, avant d’acquérir au XVIe siècle le sens de repérage d’un lieu pour mieux le connaître. Au XVIIe siècle, deux sens familiers émergent : la visite médicale et la visite de courtoisie. Malgré ces évolutions positives, le terme a gardé une part d’inquiétude. Un exemple tiré de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) illustre cette facette : "Le Commissaire, le Prévôt a fait la visite dans cette maison, par tout le quartier pour trouver…" — un voleur, un document compromettant, ou autre. Cette connotation semble bien éloignée de la "visite du Pape", une rencontre joyeuse dans une Corse catholique à plus de 80 %, ravie d’accueillir le Souverain Pontife.
Le mot "Corse" est profondément inscrit dans l’histoire. Si l’on peut simplement rappeler qu’il dérive du latin corsus, cela serait réducteur au vu de l’héritage culturel et historique de l’île. Dès 239 avant J.-C., la Corse devient romaine, avant d’être cédée à Pise, puis à Gênes en 1553. Elle ne devient française qu’en 1789. Étymologiquement, le mot "Corse" viendrait du latin Corsi, lui-même issu du pré-indo-européen car, signifiant "rocher". Ce radical se retrouve en grec avec kurnos (kyrnos), qui désigne un "cap" ou un "promontoire". Les Phéniciens, pour leur part, nommaient l’île korsai, signifiant "lieu couvert de forêts". Quant à Virgile, il s’inspire d’Hérodote pour associer l’île à Cyrnus, fils d’Hercule.
Aujourd’hui, la Corse est aussi connue sous le surnom poétique d’"Île de Beauté". Cette appellation, née à la fin du XIXe siècle, visait à attirer les touristes. Pourtant, l’idée d’une île magnifique remonte bien plus loin : les Grecs de l’Antiquité l’appelaient Kallisté, "la plus belle". Hier, l’"Île de Beauté" a accueilli le Pape dans ce qu’elle a de plus beau : une foi vivante et joyeuse. En cette période de l’Avent, il est difficile de ne pas penser à Tino Rossi chantant Petit Papa Noël, évoquant les enfants "les yeux levés vers le ciel" et récitant "une dernière prière". Un souvenir inoubliable qui fait écho à la spiritualité de l’île.
Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque lundi matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot, le mot de la semaine !
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