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Pourquoi l’organisation État islamique représente-t-elle toujours une menace ?

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 28 mars 2024 - Modifié le 28 mars 2024
Le dossier de la rédactionTerrorisme : que devient l'organisation État islamique ?

À quatre mois des Jeux olympiques de Paris, la France est de nouveau en alerte maximale face au risque attentat. L’attaque qui a fait 137 morts la semaine dernière à Moscou a réveillé des souvenirs sanglants, surtout lorsqu’elle a été revendiquée par l’organisation État islamique. Le califat du groupe djihadiste en Irak et en Syrie a pourtant été détruit il y a cinq ans, mais pas son idéologie, ni son attractivité. Si le groupe a perdu sa force de frappe, il a réussi son internationalisation. En plus du Levant, des cellules de l’EI sont désormais menaçantes en Asie centrale et à travers toute l’Afrique. Daesh reste donc un enjeu sécuritaire majeur. 

Photo de revendication partagée par l'EI avec les quatre assaillants présumés de la salle de concert à Moscou, le vendredi 22 mars  Photo de revendication partagée par l'EI avec les quatre assaillants présumés de la salle de concert à Moscou, le vendredi 22 mars

“La plus grande victoire de l’État islamique est d’avoir su exporter leur cause au-delà du terreau syro-irakien”, avance d’entrée Myriam Benraad, professeure associée en relations internationales à l’université internationale Schiller et auteure de l’ouvrage : “L’État islamique est-il défait ?” (CNRS Ed. 2023).

Cellule de l'État islamique du Khorassan

Le groupe terroriste a perdu son califat au Levant mais il a réussi son essaimage. Daesh est devenu un véritable mouvement transnational de l'Afghanistan jusqu'en Afrique. Une forme d’entreprise avec ses filiales dont la maison mère reste basée en Irak et en Syrie. “Ils peuvent activer des assaillants aux quatre coins du monde qui vont entretenir un climat de terreur, même si la portée de l’attaque est limitée”, analyse la chercheuse. 

Il y a des attentats et des attaques kamikazes toutes les semaines contre les talibans ou contre la communauté Hazaras chiite

C’est bien ce qu’il se passe en France. Le gouvernement a décidé de repasser en alerte attentat maximale après l’attaque de Moscou qui a fait 137 morts, vendredi 22 mars, dans une salle de concert. Cette tuerie a été revendiquée par le groupe État islamique, conduisant à sa branche du Khorassan, située en Afghanistan. “Son implantation remonte à 2015 lorsqu’un chef militaire des talibans mécontent a voué allégeance à l’État islamique”, explique Wassim Nasr journaliste de France 24 et auteur de "État Islamique, le fait accompli". “Le groupe s’est ainsi implanté dans une zone frontalière avec le Pakistan notamment”, poursuit-il. Il va ensuite recruter en Afghanistan, mais également au Tadjikistan ou en Ouzbékistan. 

Avec ses combattants, cette branche est l’une des plus actives du groupe. “Il y a des attentats et des attaques kamikazes toutes les semaines contre les talibans ou contre la communauté Hazaras chiite”, assure Wassim Nasr. 

Une pieuvre transnationale

On retrouve ici toute la puissance que confère l’identité transnationale de l’organisation. Pour comprendre, il faut se pencher sur le fonctionnement de cette pieuvre. “Il y a des grandes lignes stratégiques données par la maison mère et chaque filiale tente ensuite d’atteindre ces objectifs avec ses propres moyens”, détaille le journaliste spécialisé dans les mouvements djihadistes. “Selon le moment, une filiale va être capable de financer, une autre de projeter des combattants à l’extérieur pour commettre des attentats, encore une autre va être meilleure en propagande… et ça tourne !”, révèle-t-il. 

L’idéologie djihadiste a survécu à la déroute de l’EI en zone syro-irakienne

Ce que traduit cette internationalisation, c’est que l’idéologie djihadiste reste prégnante chez les populations de plusieurs parties du monde. “C’est un facteur déterminant”, confirme Myriam Benraad. “L’idéologie djihadiste a survécu à la déroute de l’EI en zone syro-irakienne”, assure-t-elle. “L’idéologie reste attractive et continue de convaincre”, abonde Wassim Nasr. 

La forme a changé cependant. “Le djihad familial n’existe plus aujourd’hui, car il n’y a plus de territoires faciles d’accès pour les Occidentaux”, confie le journaliste. “L’Afghanistan, le lac Tchad, le Sahel, les territoires où l’EI est aujourd’hui actif sont plus difficiles d’accès”, liste-t-il. Mais des groupes locaux n’hésitent pas à s’affilier à l’EI à travers l’Afrique ou l’Asie, malgré les risques que cela comporte. 

Quelle force de frappe ? 

En ce moment, la filiale la plus en position d’envoyer des combattants frapper à l'extérieur et qui a la plus grosse force de recrutement, est celle du Khorassan. “La Russie fait partie de ses cibles, mais pas uniquement, car les dernières personnes arrêtées en Europe occidentale pour déjouer des attentats font remonter à cette filiale”, selon Wassim Nasr. Depuis novembre 2022, les arrestations se sont, en effet, multipliées en Europe. La DGSI avait déjoué une attaque en arrêtant un ressortissant tadjik et un tchétchène à Strasbourg. Neuf ressortissants d’Asie centrale ont été interpellés en Allemagne et aux Pays-Bas en juillet dernier. Et de nouveau en Autriche et en Allemagne à l’automne dernier. 

“Je ne pense pas qu’on reviendra aux années 2015-2018 avec des attentats de grande ampleur”, rassure Myriam Benraad. “Vu les moyens, je ne pense pas que les djihadistes puissent commettre ce qu’ils ont pu faire il y a dix ans, même si avec l’attentat de Moscou, on renoue avec des opérations de type commando qu’on croyait finies”, tempère-t-elle. C’est bien ce qui inquiète, car “leur détermination demeure inchangée”. La France a eu raison de repasser en alerte rouge et dans le contexte des Jeux olympiques d’autres pays européens pourraient suivre” pointe la chercheuse.

Retour à la clandestinité au Levant

La volonté de l’État islamique de frapper l’Occident ne manque pas, ce genre d’attentat ne coûte pas cher, mais ce qui manque pour faire un Bataclan bis ou une tuerie comme à Moscou : c’est le facteur humain”, explique de son côté Wassim Nasr. On parle “d’européens, en capacité de s’acheter des armes, de fabriquer des explosifs, de se déplacer dans leur pays et de perpétrer ce genre d’attaques”. Or, selon lui, ce type de profils se trouve aujourd’hui en prisons, notamment les prisons kurdes de l’Est syrien. 

On assiste au retour à la première vie de ce mouvement qui prend la forme d’une insurrection armée

Ces prisons constituent justement un objectif pour les combattants de l’État islamique encore présents au Levant. Car s’il a perdu son proto-état, Daesh n’a pas totalement disparu pour autant en Irak et en Syrie. “L’imposition sur la population, le contrôle de flux illicites, la venue sur zone de milliers de partisans : c’est fini”, énumère Myriam Benraad. En revanche, “on assiste au retour à la première vie de ce mouvement qui prend la forme d’une insurrection armée, d’une guérilla qui se redéploie aux endroits où elles entrevoient des fenêtres pour opérer”, observe-t-elle. 

Les prisons kurdes : épées de Damoclès 

Dans ce contexte, les prisons constituent une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Occidentaux selon Wassim Nasr. “Dans cette fragile tectonique géopolitique, si l’armée américaine se retire, si les Turcs, les Iraniens ou l’armée syrienne lancent une opération, cela aura un impact sur les prisons, des détenus pourraient être libérés et eux auront le savoir-faire [NDLR : pour monter des attentats]” , explique-t-il. En janvier 2022, par exemple, un assaut important avait été mené sur la prison d’Hassaké en Syrie.

Pour l'instant, le sujet ne semble pas être une préoccupation prioritaire en Europe. “Personne ne veut prendre ce problème à bras-le-corps donc il est mis sous le tapis par les dirigeants européens”, s’inquiète-t-il. Il faut les rapatrier [les prisonniers djihadistes], chaque pays est responsable de ces ressortissants”, conclut Wassim Nasr. 

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