Il y a 80 ans, le 27 janvier 1945, le camp d'Auschwitz était libéré par l’armée rouge. Fallait-il en faire un musée ou un mémorial ? Aujourd'hui, environ deux millions de personnes visitent le camp. Un tourisme de masse qui suscite parfois des polémiques, quand il ne soulève pas des questions "vertigineuses".
Quand on évoque Auschwitz, on pense à ces images marquantes comme les baraquements en bois, les voies de chemin de fer ou encore le portail avec l’inscription "Arbeit macht frei". Portail sous lequel on croit que tous les prisonniers sont passés. Or, " l’immense majorité des déportés qui étaient juifs, et également les tziganes, n’ont jamais vu ce panneau. Ils étaient conduits directement dans le centre de mise à mort qui étaient dans Auschwitz II Birkenau." C’est ce que nous explique Jonathan Hayoun dans Connaître le judaïsme. Essayiste et documentariste, il signe la série "Histoire de l'antisémitisme" diffusée sur Arte (2022). Il est aussi l’auteur de "Sauver Auschwitz ?" (2017), un documentaire qui permet de saisir la complexité de l’histoire des lieux depuis 1945. Et la difficulté d’en faire un lieu de mémoire.
Auschwitz accueille chaque année en moyenne deux millions de visiteurs. Certes, on pourra considérer qu’en soit cela est une bonne nouvelle que tant de personnes soient sensibilisées. Mais tourisme de masse et recueillement ne vont pas toujours bien ensemble. Stand à pizza, selfies voire tenues vestimentaires plus ou moins appropriées… En 2019, le mémorial avait publié sur Twitter un rappel à l’ordre aux visiteurs qui se faisaient prendre en photo marchant en équilibre sur les rails.
"C’est un musée impossible, considère Jonathan Hayoun, il restitue les problématiques de chaque époque : aujourd’hui le tourisme de masse." Et cela pose "des questions vertigineuses", comme le remarque le documentariste. "Entre le mines de sel de Wieliczka le matin et la coupe de champagne à l’hôtel de Cracovie le soir, visiter Auschwitz dans cet entre-deux est-ce que ce n’est pas en réalité une bonne chose qu’ils le fassent ? C’est difficile d’être dans le jugement…"
Au cours de l'été 2015, l’installation de douches dans l’enceinte du camp pour rafraîchir les visiteurs avait suscité la polémique. En soi, il n’y a rien à redire, mais tout de même, des douches non loin de chambres à gaz, cela a de quoi provoquer un malaise. "Quoi qu’on fasse on profane le lieu, nous dit Jonathan Hayoun. Peu importe la décision qui est prise d’en faire un lieu de visite massif ou simplement un sanctuaire, un lieu de recueillement."
Il n’y a pas, dans l’enceinte du camp aujourd’hui de lieu spécifique où se recueillir. Il est "pensé pour permettre à des gens de visiter en deux trois, heures en un parcours éclair et se dire c’est bon on a fait le job, explique Jonathan Hayoun. Heureusement il invite de plus en plus aller à Birkenau sur le lieu même de l’extermination." Auschwitz II Birkenau, qui n'est pas Auschwitz I, où se trouve le musée, et d’où certains visiteurs repartent en disant qu’il n’y a rien à voir... "Quand on arrive à Birkenau on se sent complètement démuni. Mais quelque part je ne comprendrais pas pourquoi on ne se sentirait pas démuni si on va sur les traces du génocide !"
90% des personnes assassinées à Auschwitz étaient juives. Il a fallu du temps au cours de son histoire, pour que la mémoire des victimes juives soit honorée. Aujourd’hui encore nulle part dans le camp d’Auschwitz ne figurent les noms du million de personnes juives exterminées. "Un mur des noms paraît indispensable à Birkenau, là où reposent les corps… Montrer l’immensité des victimes par une immense stèle avec tous les noms aurait beaucoup de sens. Mais ce n’est pas le choix du lieu alors qu’il y a des murs des noms au mémorial de la Shoah à Paris, à Washington, à New York, au Guatemala… Ce qui ne participe au fait d’en faire un lieu de recueillement et ça c’est dommage."
80 ans après la libération du camp, le contexte actuel semble paradoxal. Si "la mémoire de la Shoah n’a jamais été aussi bien transmise", comme le constate Jonathan Hayoun, l’antisémitisme est en augmentation - depuis le début des années 2000 et plus encore depuis l’attaque du 7-Octobre. C’est donc sans doute une erreur de croire que transmettre la mémoire de la Shoah suffit pour lutter contre l’antisémitisme.
Dans quel état d’esprit visiter ce lieu de mémoire ? Le piège, ce serait de "croire qu’il faut juste cocher une case et d’aller poser son pied là-bas comme dans un lieu de pèlerinage », estime le documentariste. Il conseille d’y consacrer plusieurs jours. Et "d’aller d’abord sur les traces de la vie juive avant son extermination, d’aller à Cracovie, s’intéresser à ce qu’était le yiddishland et la vie des Juifs sur place, avant la mise en place de la solution finale et pas simplement d’aller sur les pas des bourreaux mais aussi sur les pas des victimes". Et s’intéresser non pas tant à la façon dont elles sont mortes mais à la façon dont elles ont vécu.
Un autre écueil serait de faire d’Auschwitz le lieu du "plus jamais ça" - ne serait-ce parce que d’autres génocides ont eu lieu après la Shoah. "Croire que la visite d’un lieu permet de prémunir l’humanité de nouveaux génocides est un leurre, admet Jonathan Hayoun. Il ne faut pas investir Auschwitz d’autre chose que ce qu’il est. Un lieu de recueillement pour ceux qui veulent rendre hommage aux victimes et un lieu d’histoire pour mieux connaître l’histoire de la Shoah." Il rappelle qu’Auschwitz "n’a cessé" depuis 1945 "d’être investi et d’être habité par d’autres fonctions, d’autres objectifs, politiques notamment… Et donc en faire le lieu du plus jamais ça par excellence fait partie aussi des choses qu’il faudrait habiter." Visiter Auschwitz doit être selon lui le lieu de "l’ouverture à une prise de conscience mais pas le lieu d’une fermeture".
Comment comprendre les rites, les fêtes qui rythment le calendrier hébraïque ? Comment lire la Bible à la lumière de la tradition juive ? Qu’apporte la lecture du Talmud ou les textes de Maïmonide à un croyant juif... ? Chaque semaine, dans un dialogue avec un fin connaisseur du monde juif, Odile Riffaud nous fait entrer dans la richesse de cette tradition religieuse qui est à la racine du christianisme et de l’islam.
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