Stoppés avec la dissolution de l'Assemblée nationale, les débats sur la fin de vie feront date. Il y a eu ceux qui ont défendu le soin avant tout, d'autres le droit à mourir dans la dignité, d'autres encore ont avancé l’interdit de tuer. On a aussi entendu certains défendre une assistance à mourir vue comme un service. Comment aborder la fin de vie ? Est-ce à partir de dogmes ou faut-il se faire une opinion à partir de l'expérience vécue ? Le podcast PAS SI SIMPLE donne la parole au Dr. Sophie Crozier, neurologue à hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
C’est certainement un débat qui fera date. Si le projet de loi sur la fin de vie a été abandonné à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, il reste important de revenir sur les échanges passionnés qui ont eu lieu. Des débats mêlant convictions religieuses, visions philosophiques, expériences intimes et parfois instrumentalisation politique.
Le podcast PAS SI SIMPLE reçoit le Dr. Sophie Crozier, neurologue à hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Au service des urgences neurologiques, elle est régulièrement confrontée aux conséquences graves d’accidents vasculaires-cérébraux. Pour mieux appréhender ces questions, elle s’est formée en éthique et en philosophie. Depuis 2021, elle est membre du CCNE (Conseil consultatif national d’éthique). Pour elle, le risque avec ces débats qui ne sont pas nouveaux, c’est d’être très idéologique et de s’éloigner de la réalité… L’Assemblée nationale avait adopté six des vingt-et-un articles du projet sur la fin de vie. Fallait-il un nouveau projet de loi ? Que reste-t-il à légiférer ?
Cela peut sembler étonnant aujourd'hui vu la teneur des débats, mais la loi de 2005, dite loi Leonetti, avait été adoptée "à l’unanimité", tient à rappeler le Dr. Sophie Crozier. Et s'il y a bien une loi "qui a permis vraiment de faire changer les choses", c'est bien celle-ci, estime la neurologue. Auparavant, dans certains cas, les équipes médicales prenaient le risque d’être poursuivies "pour meurtre avec préméditation". Or, ce sont "des décisions très difficiles, on n’est jamais sûr de prendre la bonne décision quand le patient n’est pas en état de donner son avis."
En 2005, cette loi devait répondre à "une inquiétude, dans la société, sur le fait de souffrir en fin de vie, de ne pas vouloir d’acharnement thérapeutique". "Cette angoisse était très légitime et la loi de 2005 y a répondu." Pour le Dr Crozier, il est donc important de mieux faire connaître ce texte. Et de rassurer les Français aujourd'hui : "L’absence aujourd’hui d’une loi sur l’aide active à mourir ne fait pas que nous sommes en situation de subir de la souffrance."
Si on a parlé de débats sur "la fin de vie", c’est surtout la question de donner la mort qui était soulevée. Et donc la possibilité de passer outre une transgression fondamentale. Pour la sémiologue Mariette Darrigrand, cela nous place en face de "quatre dogmes" : le soin avant tout, le droit de mourir dans la dignité, l’interdit de tuer et l'assistance à mourir vue comme un service.
Il y a d’abord celui exprimé par un grand nombre de soignants : "Les soignants veulent soigner, résume Mariette Darrigrand, leur mot culte c’est le soin - prendre soin et pas guérir." Face à cela, il y a les droits de l’Homme au nom duquel "une majorité", semble-t-il, de Français invoquent "le droit à mourir dans la dignité".
Autre dogme, défendu par les trois grands monothéismes, l’idée que "la vie de l’homme ne lui appartient pas". Et que la fin de vie doit être accompagnée, en appeler au collectif par opposition à un certain individualisme.
En écho, "et c’est peut-être ça qui est émergent et qui va se développer", selon la sémiologue, une vision "servicielle" de la mort. "On est dans la vérité du consommateur, quelqu’un qui pense que la mort, comme toute autre chose, doit être sous l’autocontrôle de la personne, de l’individu." Et peut nécessiter une assistance, "de façon neutre, servicielle, objective".
Ces quatre dogmes "se confrontent" et n’entrent pas en dialogue, selon la sociologue, mais ils partagent la croyance que l’on est devant "une situation complètement nouvelle". Or, "l’Homme n’a pas attendu les technologies actuelles et la bioéthique pour penser son propre pouvoir sur la vie et la mort", comme en témoigne le suicide de Socrate, philosophe de l’Antiquité.
Ce que je trouve très difficile dans les débats autour de la fin de vie, c’est précisément ça, une forme de stigmatisation de certaines situations de handicap ou pathologies. Parfois, on change d’avis, c’est important de ne pas avoir un avis définitif
Faut-il partir de l’un de ces dogmes pour se faire un avis personnel ? Le Dr. Crozier rappelle combien cela peut être "insoutenable de voir un proche souffrir en fin de vie". Mais jusqu’où peut-on puiser dans son expérience personnelle pour établir une vérité objective ? Bien souvent dans ces débats sur la fin de vie, ce sont des personnes en bonne santé que l’on a entendues, des personnes qui, comme beaucoup, se projettent.
La question de la projection est essentielle car bien souvent on pose un regard sur une situation que, de fait, on ne connaît pas. Le concept de "disability paradox", théorisé par un sociologue américain, montre d'ailleurs au sujet du handicap qu’il y a une qualité de vie perçue et une qualité de vie vécue, et que l'une et l'autre diffèrent sensiblement.
"Ce que je trouve très difficile dans les débats autour de la fin de vie, confie le Dr. Sophie Crozier, c’est précisément ça, une forme de stigmatisation de certaines situations de handicap ou pathologies. Parfois, on change d’avis, c’est important de ne pas avoir un avis définitif." La question de la fin de vie pose des questions difficiles et complexes. Pour l’aborder, estime la neurologue, c’est d’abord une certaine "humilité" qu’il faut développer.
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