Il y a en ce moment à Paris des expositions monumentales, destinées à attirer le public en grand nombre. Ramsès II à la Villette, Manet-Degas au Musée d’Orsay ou Warhol et Basquiat à la Fondation Vuitton. Cela vaut certainement la visite. Mais il y a aussi un certain plaisir à se rendre dans des lieux moins fréquentés pour découvrir des artistes moins célèbres. C’est l’expérience que j’ai faite en allant à la Fondation Cartier-Bresson, dans le quartier du Marais, pour une exposition consacrée au photographe américain Paul Strand.
Un très grand artiste ! Né à New York en 1890 et mort près de Paris en 1976, à Orgeval où il vivait en exil. Cet homme aux convictions marxistes avait quitté son pays natal dans les années 1950 au moment où le sénateur McCarthy faisait de la chasse au communisme. Cela ne l’a pas empêché d’être reconnu pour son grand talent aux États-Unis où il a bénéficié de son vivant d’expositions dans les plus grands musées.
Il réunit deux grandes traditions que l’on a tendance à opposer. La photographie sociale et la photographie formaliste. Paul Strand a eu la chance d’être initié au métier par un grand représentant de chacune des deux tendances, Lewis Hine et Alfred Stieglitz. Le regard qu’il porte sur la réalité sociale est en même temps empreint d’un grand souci de perfection, ses images étant superbement composées.
Toute sa vie, Paul Strand a travaillé avec une chambre photographique, appareil volumineux et d’un maniement délicat. Il accordait le plus grand soin à ses tirages qu’il effectuait lui-même sur du papier platine.
Deux choses à souligner. Tout d’abord Paul Strand avait autant de talent pour photographier les choses que les gens. Ce qui est assez rare parmi les photographes. C’était vraiment un remarquable portraitiste. Ensuite, Paul Strand a été l’inventeur d’un genre nouveau : le livre de photographies mariant un reportage sur un lieu avec un texte d’écrivain. Il l’a fait en Nouvelle-Angleterre, en France, en Italie, en Égypte et au Ghana.
Deux photos m'ont particulièrement marqué dans cette exposition. D’abord une photo de la famille Lusetti prise dans un village d’Émilie-Romagne en 1953. La mère est au centre, dans l’encadrement d’une porte, et cette femme qui a eu 15 enfants est entourée de cinq de ses fils. La dignité des visages est inoubliable. L’autre photo que je voudrais citer est la plus célèbre de Paul Strand. Elle représente le visage d’un jeune homme qui semble particulièrement contrarié. L’image a été prise dans un village de Charente en 1951 pour le livre intitulé "La France de profil". Le texte de l’écrivain Claude Roy qui l’accompagne est une réflexion sur un sujet tout à fait d’actualité ces temps-ci, "la France en colère". Ici, on appelle donc cette photographie "le jeune homme en colère" alors que la légende écrite par Paul Strand dit seulement "un jeune homme", sans autre précision.
Un journaliste, Michel Boujut, a enquêté dans les années 1990, pour retrouver ce jeune garçon. Avec succès. Il s’appelait Claude Grijalvas et avait 19 ans lors de la prise de vue. Il était effectivement contrarié car ses parents l’avaient obligé à poser pour la photo alors qu’il voulait aller pêcher. Paul Strand avait mis une demi-heure à faire la photo. C’est son goût de la perfection qui avait mis le jeune homme en colère !
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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