L'immigration est l'un des sujets qui reviennent sans cesse dans les débats politiques. Hautement sensible, il est aussi hautement symbolique. Il dessine des clans, il y a les "pour" et les "contre". Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Les idées reçues ont tendance à masquer la complexité du sujet. Et à se poser les questions qui fâchent : pourquoi les demandes de droit d'asile augmentent-elles en France ?
Pour évoquer la question hautement sensible de l’immigration et du droit d’asile, le podcast PAS SI SIMPLE reçoit Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Bien qu’habité par des convictions personnelles, il est de ceux qui peuvent remettre des faits, du réel des chiffres, et une grille d’analyse dans un débat souvent confisqué par les fantasmes, les slogans, les idées toutes faites. Son essai, "Ce grand dérangement. L’immigration en face" (coll. Tract, éd. Gallimard, 2020) a fait l’objet d’une nouvelle édition augmentée en septembre 2023.
Notre société ne perd-elle pas la raison quand il s'agit d'immigration, comme si elle ne savait plus où elle en était ? Tout est dans "la manière d’en débattre", estime Didier Leschi, qui observe que "les arguments s’emboîtent pour s’alimenter l’un l’autre". Il y a ceux qui invoquent la crise climatique au nom de laquelle il faudrait accueillir ceux qui se présentent à nos frontières. "Nous ne mettons pas en place les conditions pour que les personnes ne bougent pas, a déclaré Sandrine Rousseau, le 24 septembre 2023 sur LCI. Et donc évidemment aujourd’hui, quand ils traversent dans des conditions souvent extrêmement difficiles, les mers, les océans et les frontières pour arriver en France, le premier devoir que nous avons c’est de les accueillir..."
Il y a ceux qui parlent d’une France envahie par les étrangers, comme Éric Zemmour le 23 février 2021 sur CNews : "Là maintenant on est à des chiffres colossaux, on est à 100.000 130.000. Je crois qu’en 2019, c’est 170.000… C’est énorme, ce n’est plus du droit d’asile, c’est une nouvelle branche de ce que j’appelle l’invasion migratoire."
Comment y voir clair ? "L’immigration, c’est un débat qui est à la fois social, démographique et culturel", explique Didier Leschi. C’est donc un sujet profondément complexe. Or les idées reçues empêchent de percevoir cette complexité. "Immigration" est même devenu "un gros mot" analyse la sémiologue Mariette Darrigrand. Pour elle on est dans "du très haut symbole", de l’ordre du "totem". Une "symbolique grandiose" où "l’imaginaire s’engouffre" que l’on utilise pour "faire des clans", faire "les pour et les contre dans une situation politique générale très compliquée".
Dans la manière de traiter le sujet, notamment par les médias, "ce qui manque, c’est le réel", regrette la sémiologue. Pour elle, on ne peut pas faire l’économie des données administratives. Par exemple il existe différents statuts : qu’est-ce qui relève du regroupement familial, de l’immigration étudiante, du droit d’asile ? "Tout ça, c’est le réel mais il doit être documenté. Aujourd’hui, ce n’est pas un travail que font beaucoup les médias. On a peu de témoignages, peu de chair, peu d’incarnation à ces situations."
On parle tantôt d'une Europe passoire ou d'une Europe forteresse : qu'en est-il vraiment ? La part d’immigrés dans la population européenne est "beaucoup plus forte qu’en Amérique latine, qu’en Afrique ou qu’en Asie", rappelle Didier Leschi. On estime à 12 ou 13% la part de la population immigrée en Europe, soit, selon l’INSEE, née étrangère à l’étranger. "Quand on compare ça au niveau international on comprend bien qu’on n’est pas une forteresse sans pour autant être une passoire, sans qu’il y ait une absence de régulation."
Le droit d’asile, c’est la protection des combattants de la liberté. Et on sait bien qu’aujourd’hui la procédure d’asile elle est investie par des personnes qui ne sont pas des combattants de la liberté
Il faut distinguer l’immigration régulière - le regroupement familial, l’immigrations étudiante ou professionnelle - du droit d'asile. "Le droit d’asile, c’est la protection des combattants de la liberté, rappelle Didier Leschi. Et on sait bien qu’aujourd’hui la procédure d’asile elle est investie par des personnes qui ne sont pas des combattants de la liberté." Si aujourd’hui en France la majorité des demandes d’asiles sont rejetées c’est parce qu’elles sont faites par des migrants économiques.
Notons qu'aujourd’hui on ne parle plus de "travailleur immigré" mais beaucoup plus de "migrant". "Travailleur immigré, ça montrait l’utilité sociale de quelqu’un", souligne Didier Leschi. Mais avec l’augmentation du chômage et l’augmentation des demandes d’asile, on a commencé à employer en France le terme de "migrant" - et ce y compris "dans le vocabulaire des associations de soutien". Des migrants dont on montre les difficultés ou la souffrance, au cinéma ou en littérature. "Plus de 30% des immigrés en France vivent en-dessous du seuil de pauvreté, c’est des choses qui interrogent. Et ça interroge d’autant plus qu’il y beaucoup plus d’immigrés en France qu’il y en avait dans les années 30, ça c’est indéniable." Pourquoi donc les gens partent-ils ? C’est la question qu’il faut se poser, selon le directeur de l’Ofii.
L'augmentation des demandes d'asile signe "l’échec d’un mode de développement" après les décolonisations. "La majorité des sociétés issues de la décolonisation ne sont pas devenues des sociétés démocratiques", nous dit le directeur de l'Ofii. Les gens fuient les guerres et les persécutions.
Quant aux départs économiques, ils sont liés à "un autre phénomène qui est celui de la globalisation, c’est-à-dire les écarts abyssaux entre riches et pauvres qui se sont creusés à travers le monde et dans ce contexte-là l’Europe, c’est le continent envié." Didier Leschi ajoute que "les personnes qui viennent elles ne sont pas idiotes, elles savent que l’Europe n’est pas une forteresse, traverser la frontière de l’union européenne ce n’est pas traverser la frontière chinoise…"
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