Accidents tragiques, disparitions mystérieuses ou histoires insolites… Chaque jour, les faits divers s’invitent dans notre quotidien. Si ces récits captivent autant qu’ils choquent, ce n’est pas un hasard. Pourquoi ces histoires, souvent tragiques ou dérangeantes, exercent-elles une telle emprise sur notre curiosité ? Que disent-elles de nous, de nos peurs, de notre besoin de comprendre l’incompréhensible ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Melchior Gormand.
Dernièrement, l’actualité a fait ressurgir l’affaire du Petit Émile. Les rebondissements de l’enquête ont fait la Une de l’actualité résultant d’une explosion des scores d’audience dans les médias (+4,8 % sur BFMTV). Ce tapage médiatique rappelle l’affaire du Petit Grégory, 40 ans plus tôt. Ces faits divers surmédiatisés sont devenus un cas d’école encore étudié en école de journalisme tant le traitement médiatique avait été décrié. Mais quand l’on parle de fait divers, de quoi parle-t-on ?
Jean Doridot, docteur en psychologie et hypnothérapeute, auteur du podcast Sur la Seine de Crime de Radio France décrit l’origine du fait divers : “Dans un journal, il y a différentes rubriques. Des rubriques politique, culture, sport, économie, etc. Il n'y a qu’une rubrique qui ne rentre pas dans les autres : ce sont les faits divers”. Il poursuit en expliquant l’aspect exceptionnel de ces faits. “Les faits divers, ça peut arriver à tout le monde. Ils interpellent sur le plan émotionnel.” Pour l’expliquer, le docteur en psychologie parle de “la règle de mort par km”. Il donne un exemple très imagé. “Un tremblement de terre en Inde qui fait 100 morts interpelle moins que l’homme qui meurt en bas de la rue.” Ce qui rend ce fait divers exceptionnel, c’est qu’il pourrait arriver à n’importe qui. “Ce ne sont pas des aristocrates, des rois, des princes”, qui bénéficient toujours de la lumière médiatique.
On distingue deux types de faits divers : les bonnes nouvelles et les drames. Jean Dorido parle de cette rubrique “qui accueille des bonnes nouvelles, comme les retrouvailles de lingots d’or ou des tableaux de maître. Mais aussi des histoires criminelles effroyables”. Il ne faut pas être un expert pour savoir que parmi les faits divers, ce sont surtout les mauvaises nouvelles et les drames qui sont mis en avant.
Pourquoi sommes-nous autant attirés par ces histoires souvent macabres ou invraisemblables ? Selon Jean Doridot, la réponse est à chercher dans les tréfonds de notre cerveau. “C’est darwinien, notre cerveau est programmé pour se souvenir des dangers”. Cette mémoire sélective, forgée au fil des siècles pour assurer notre survie, donne aujourd’hui encore une importance démesurée à tout ce qui peut nous menacer.
La paix, ça ne se raconte pas. Nous sommes programmés pour nous souvenir des drames
"Tous les jours, il y a des événements heureux et des actes héroïques. Mais pour des raisons évolutionnistes, on est attiré par des malheurs”, explique le psychologue. Ce biais de négativité, bien connu en psychologie, nous pousse à porter notre attention sur les catastrophes, les meurtres, les disparitions, tout ce qui pourrait, un jour, nous arriver. Dans l’Odyssée d’Homère, une fois la guerre de Troie terminée, l’histoire s’arrête presque. Pourquoi ? “Parce que la paix, ça ne se raconte pas”, résume Jean Doridot. "Nous sommes programmés pour nous souvenir des drames, pas du quotidien paisible". Le fait divers fait vibrer nos alarmes internes, nous rappelle notre vulnérabilité. Et comme le souligne un auditeur, "le fait divers, c’est ce que chacun va commenter dans le bistrot. Les gens parlent de l’actualité, mais surtout parlent de l’actualité locale. On est dans la proximité". Par exemple, l’homme tué à quelques rues de chez soi, aura toujours plus d’impact émotionnel qu’une guerre à l’autre bout du monde.
Cette fascination a un coût. “Sur les esprits les plus faibles, il y a un effet de contagion”, alerte Jean Doridot. Le fait divers, répété, amplifié, parfois dramatisé par les médias ou les séries télévisées, peut influencer les comportements. Gilles, un auditeur, s’inquiète de cette dérive : “Il y a un cercle vicieux, avec les séries qui racontent les faits divers. Cela influence les esprits faibles qui reproduisent mimétiquement les actes criminels. Ça les banalise”. Un avis toutefois nuancé par le docteur en psychologie Jean Doridot.
Les politiques savent que les élections ont une dimension affective
Le pouvoir politique n’échappe pas non plus à cette tentation d’instrumentalisation. "Un homme ou femme politique n'hésitera pas à utiliser le crime sordide à son profit." L’exemple du "papy agressé" en 2002, à la veille du second tour de la présidentielle, est resté dans les mémoires : “Les médias ont mis cette affaire en Une et certains analystes estiment qu’elle a joué un rôle déterminant dans les résultats”. Jean-Marie Le Pen s'est hissé jusqu'au second tour. Jean Doridot l’explique clairement : "Les politiques savent que les élections ont une dimension affective. Ils utilisent des faits divers pour faire ressentir des sentiments". Ce phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il participe à créer une vision déformée du monde.
Quand je lis des faits divers, je deviens négative
Geneviève, une auditrice, témoigne : “Quand je lis des faits divers, je deviens négative pour moi-même et pour les autres". Derrière ces récits qui interpellent, il peut y avoir aussi des vies brisées. Rose, une autre auditrice, partage avec émotion : "Mes enfants et petits-enfants sont morts et ça avait été médiatisé. Je ne comprends pas pourquoi les gens ont cette fascination. Derrière, il y a une famille. Les journalistes ont étalé notre vie".
Une mise en lumière médiatique souvent vécue comme une seconde douleur. "J’ai une pensée pour les journalistes. C’est un métier particulier, ajoute Jean Doridot. Dans les écoles, on enseigne ce qu’il ne faut pas faire. Mais certains font tout et n’importe quoi pour obtenir une interview, une photo.” Entre course à l’audience et respect des familles, la frontière est parfois mince.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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