Vous êtes nos frères aînés, Qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme... Jean-Paul II, mort il y a 20 ans, n’a pas publié de grand texte marquant sur le judaïsme mais il a multiplié les prises de parole. Les rencontres avec les communautés juives ont ponctué quasiment chacun de ses voyages. Jusqu'à la signature en 1993 de l'accord fondamental qui reconnaît l'État d'Israël.
S’il n’a pas publié de grand texte marquant sur le judaïsme, Jean-Paul II, mort il y a 20 ans, a multiplié les gestes et les prises de parole. Les rencontres avec les communautés juives ont ponctué quasiment chacun de ses voyages. "Vous êtes nos frères aînés", "Qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme"… Et si ces paroles adressées aux juifs étaient autant de messages lancés aux chrétiens ? Jean-Paul II est considéré comme le pape qui a mis en œuvre la déclaration Nostra aetate et donné un coup d’accélérateur au chantier théologique lancé par Vatican II.
Jean-Paul II est mort il y a 20 ans, le 2 avril 2005. Hasard du calendrier, on célèbre aussi cette année le 60e anniversaire de la "Déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes - Nostra aetate", du 28 octobre 1965. Si ce texte du concile Vatican II concerne toutes les religions, il a changé la façon dont l’Église catholique considère la religion juive et transformé les relations des catholiques avec le peuple juif.
Avec Nostra aetate l’Église catholique a renoncé définitivement à la théorie du peuple déicide. L’enjeu, explique le Père Leproux, "était de sortir de cette idée que les juifs étaient maudits parce qu’ils n’avaient pas reconnu le Christ… Nostra aetate est une pierre fondamentale de ce passage à une forme d’antijudaïsme latent qui se transformait très gravement en antisémitisme, que l’Église voulait enrayer de façon radicale."
Après Vatican II, il y a eu en 74, la création, sous Paul VI, d’une commission pour les relations avec le judaïsme et la publication d’un texte sur l'application de Nostra aetate. Mais c’est Jean-Paul II, élu pape en 1978, qui a "mis en œuvre Nostra aetate très concrètement pour la vie de l’Église, explique le Père Alexis Leproux, vicaire épiscopal du diocèse de Marseille, en charge des relations avec le judaïsme. Les vingt-cinq ans de pontificat de Jean-Paul II, et puis tout ce qui s’est passé entre les années 80 et le début des années 2000, sont évidemment des années très importantes pour la vie de l’Église dans la relation avec les juifs."
Parmi les prises de parole marquantes de Jean-Paul II vis-à-vis des juifs, il y a eu son intervention de 1986 à Rome. C’était la première fois qu’un pape entrait dans une synagogue. À la communauté juive, il a déclaré : "Vous êtes nos frères aînés".
À cette époque, "pouvoir parler des juifs comme des frères aînés changeait tout l’imaginaire des chrétiens", estime le Père Leproux. Selon lui, ce message de fraternité, qui représente "un pas théologique considérable", était aussi lancé aux chrétiens. Il incite en effet à "ne jamais tomber dans l’idée que les juifs puissent être rejetés de la paternité de Dieu".
On ne peut pas se comprendre comme chrétien si on ne conçoit
pas en soi ce que le pape Pie XI disait d’être des sémites spirituels
Dans la synagogue de Rome, Jean-Paul II a aussi parlé de "relations intrinsèques" entre juifs et chrétiens. "C’est le grand travail de toutes ces années théologiques. commente le Père Leproux. C’est de ne pas faire de ces relations une fraternité diplomatique. Mais de faire de cette relation une unité intrinsèque, un lien très fort entre deux chemins de foi... de nourrir un lien vital."
Pour le Père Leproux, "on ne peut pas se comprendre comme chrétien si on ne conçoit pas en soi ce que le pape Pie XI disait d’être des sémites spirituels*. Et d’être habités grâce à l’Esprit saint par cette grâce de l’élection d’Israël".
Pour les spécialistes, à Mayence en 1980, tout a été dit. Devant les représentants de la communauté juive, Jean-Paul II a notamment parlé d’une "alliance irrévocable" entre Dieu et le peuple juif. Il ne faisait que reprendre la Lettre aux Romains de saint Paul, chapitre 11, verset 29 : "Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance." "C’est très important de rappeler que le don de Dieu est irrévocable, souligne le Père Leproux. Et quand Dieu s’engage dans un lien d’amour et dans un lien d’alliance, quoi qu’il arrive de l’autre côté, Dieu est fidèle à sa promesse."
Et si cette parole a eu du poids c’est parce que longtemps l’Église catholique a soutenu l’idée inverse. La théorie de la substitution désignait la première alliance, celle passée entre Dieu et le peuple hébreu et rapportée au Livre de l’Exode, comme caduque. Et la venue de Jésus, le signe d’une nouvelle alliance. La théorie de la substitution a donné lieu à des siècles d’antijudaïsme.
Tout au long de son pontificat, Jean-Paul II a multiplié les demandes de pardon, notamment au sujet des persécutions contre les juifs. Depuis Vatican II, l’Église reconnaît la fidélité de Dieu à son choix du peuple hébreu. "C’est cela que le discours de Mayence rappelait pour le peuple chrétien dans l’esprit de Nostra aetate pour que nous puissions vivre au rythme de cette fidélité de Dieu."
C’est l’autre phrase forte du discours de Mayence : "Qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme." Une formule qui ne fait pas que rappeler l’identité juive de Jésus. Elle soulève la question complexe du salut en milieu chrétien. Comment comprendre en effet cette autre déclaration de Jean-Paul II : "Pour tous — Juifs et païens —, le salut ne peut venir que de Jésus Christ" (Redemptoris Missio, 1990) ?
"Il faut toujours raccorder à cette parole de Remptoris Missio le beau texte de Gaudium et spes, précise le Père Leproux. Qui nous permet de reconnaître la présence du Christ en tout être humain. Puisqu’on reconnaît que tout être humain est créé à l’image de Dieu et qu’on ne peut pas séparer le mystère du Christ, comme le mystère d’Israël, du mystère de l’Homme… Mais nous le reconnaissons comme agissant dans le cœur de tout homme. Cela ne nous empêche pas, évidemment, de reconnaître que Jésus, s’étant uni à son peuple pour toujours en mourant à Jérusalem, nous oblige à ne pas séparer aujourd’hui Jésus de ceux pour qui il est mort et de ceux qu’il a aimés."
Le pontificat de Jean-Paul II a été entaché par l'affaire du carmel d'Auschwitz (de 1984 à 1993). Avant cela, en 1979 ses propos tenus de la messe qu'il a célébrée à Birkenau, — "Golgotha de l’humanité" — ont suscité la polémique. "C’est toujours délicat de ramener dans son langage à soi l’épreuve des autres, admet le Père Leproux. Je crois que Jean-Paul II a fait un long chemin de compréhension de cet aspect-là au fur et à mesure des années de son pontificat." Le cardinal Jean-Marie Lustiger, entre autres, l’a "beaucoup aidé" à"ne pas s’approprier la grande épreuve de la Shoah".
Ainsi, "c’était très important de reconnaître qu’Edith Stein était morte pour son peuple, qu’elle était à Auschwitz en tant que juive." Edith Stein (1891-1942), juive convertie au catholicisme et devenue carmélite, a été canonisée par Jean-Paul II en octobre 1998. Ce dernier a reconnu, nous dit le Père Leproux, que "ce n’était pas un christianisme qui venait effacer sa judaïté mais qu’au contraire sa rencontre avec le Christ avait mis en valeur ce lien du sang et ce lien de son histoire avec le peuple juif".
La figure d'Edith Stein était importante pour Jean-Paul II. "Elle permet aux chrétiens de porter constamment un regard sur la Shoah. Et pour nous c’est très important de ne jamais oublier ce drame, que le peuple juif a souffert… Cette destruction de tout un peuple, ces millions de femmes, d’enfants, d’hommes qui ont disparu sous nos yeux dans cette Europe chrétienne." Pour le Père Leproux, le peuple juif a été victime d’un totalitarisme "à cause de sa relation à Dieu". Et cela n’occulte pas les autres génocides, au contraire. C'est un encouragement à "ouvrir son cœur à d’autres peuples qui souffrent de l’injustice".
C’était une attente exprimée lors de la visite à la synagogue de Rome en 1986 par la communauté juive : la reconnaissance diplomatique par le Saint-Siège de l’État d’Israël. Ce qui a été fait en 1993 avec la signature sous Jean-Paul II de l’accord fondamental. "Mais cet accord était lié à des accords très profonds de la politique israélienne à l’égard du peuple palestinien", précise le Père Alexis Leproux.
"Il est important de ne pas confondre le travail spirituel que nous devons faire au niveau de notre foi, de l’Écriture, de la liturgie et de la vie spirituelle, qui est la vie des commandements que le Seigneur a confiés à Moïse et que les chrétiens veulent vivre en communion avec le peuple juif qui n’est pas tout entier en Israël… et puis ce lien très fort entre le peuple juif et l’État d’Israël."
Pour le Père Leproux, "si elle n’est plus respectueuse du pluralisme religieux, si elle n’est plus respectueuse du peuple palestinien", la politique d’Israël "pose une énorme question, évidemment, à l’Église catholique. Et ne permet pas à l’Église par cet accord fondamental de dire, Nous justifions la politique israélienne."
*"Spirituellement, nous sommes des sémites", pape Pie XI, 1938
Comment comprendre les rites, les fêtes qui rythment le calendrier hébraïque ? Comment lire la Bible à la lumière de la tradition juive ? Qu’apporte la lecture du Talmud ou les textes de Maïmonide à un croyant juif... ? Chaque semaine, dans un dialogue avec un fin connaisseur du monde juif, Odile Riffaud nous fait entrer dans la richesse de cette tradition religieuse qui est à la racine du christianisme et de l’islam.
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