Depuis l'ouverture du jubilé, les fidèles catholiques peuvent recevoir l'indulgence plénière à Rome ou dans plusieurs lieux de France. Le Vatican a dressé la liste des conditions pour l'obtenir. La notion d'indulgence, avec son vocabulaire juridique, semble floue et complexe. Elle peut aussi donner aussi l'image d'un pardon accordé de façon automatique. Et ce, sur décision du souverain pontife, quand bien même le pardon vient de Dieu... Comment comprendre aujourd'hui la portée spirituelle de l'indulgence ? Pourquoi, au XXIe siècle, vouloir l'obtenir ?
"L’indulgence est une grâce du jubilé", a indiqué le Vatican dans un document qui résume les conditions pour l'obtenir. Avec son passé encombrant et son vocabulaire emprunté à l’économie ou au juridique, la notion d'indulgence semble complexe, et à certains égards, repoussante. Elle pose aussi la question du pouvoir de l'institution sur le pardon des péchés - accordé par Dieu. Si l’Église catholique la propose en cette année jubilaire (jusqu'au 6 janvier 2026 - ou 28 décembre 2025 dans les Églises particulières), c’est pour en approfondir la profondeur spirituelle.
Approcher la notion d’indulgence c’est se frotter à la complexité du droit canon, à la doctrine du purgatoire ou encore la théologie de la réconciliation. Aujourd’hui, c’est avant tout une démarche de pénitence. "L’indulgence est complémentaire au sacrement de réconciliation, insiste le Père Jérôme Bascoul, prêtre du diocèse de Paris spécialiste de l’œcuménisme. C’est une démarche de pénitence qui s’inscrit dans la théologie du sacrement de réconciliation."
"L'indulgence est la remise devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, que le fidèle bien disposé, et à certaines conditions définies, obtient par le secours de l'Église qui, en tant que ministre de la rédemption, distribue et applique avec autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints."
Can. 992
Si les péchés sont pardonnés lors de la confession, pourquoi est-ce nécessaire d’obtenir l’indulgence ? En effet "l’indulgence concerne les fautes déjà pardonnées par le sacrement de réconciliation", précise le Père Bascoul. Ce dont il est question, ce sont "les conséquences des fautes". Il ne s’agit pas d’annuler les conséquences matérielles ou d’effacer comme par magie les dégâts causés par une personne. Comme l’explique le Père Olivier Artus, "la faute pardonnée reste commise".
L’indulgence est une grâce qui débarrasse l’être humain de tout ce qui l’empêche d’être en relation avec Dieu. C’est du moins comme cela que l’Église catholique la conçoit, surtout depuis que Jean-Paul II a relancé le sujet pour le jubilé de l’an 2000.
Sans doute fallait-il attendre le XXIe siècle pour renouer avec un sujet brûlant délesté de son poids historique. En milieu chrétien, le terme "indulgences" rappelle en particulier un épisode douloureux : la querelle des indulgences qui a précipité le schisme protestant. Le 31 octobre 1517, date fondatrice de la Réforme, le prêtre Martin Luther aurait affiché sur la porte de l’église de Wittemberg (dans l’actuelle Allemagne) sa "Dispute sur la puissance des indulgences" que l’on nomme aussi ses 95 thèses.
L’histoire ancienne des indulgences est marquée par de nombreux abus - être préservé du purgatoire en échange d’argent - et par des pratiques à bien des égards difficiles à comprendre à notre époque. En 1095, par exemple, avant la première croisade, le pape Urbain II a promis l’indulgence pour les croisés. Ou encore, le pape Léon X (1475-1521) avait autorisé la vente des indulgences pour financer le chantier de la basilique Saint-Pierre du Vatican.
"Les fondements doctrinaux des indulgences aboutissent à leur dogmatisation en 1343 par le pape Clément VI, écrit Jean-Claude Mensah dans "Les indulgences" (éd. Cerf, 2021). L’engouement est considérable pour cette quasi sécurisation quant au purgatoire. Mais de graves abus surgissent qui vont susciter de plus en plus de critiques." Le commerce des indulgences - mot d’origine latine qui signifie "bonté" ou "bienveillance" - a entretenu ce que Jean Delumeau a appelé une "pastorale de la peur"*.
Pour Luther, le commerce des indulgences était contraire à la gratuité du pardon de Dieu. Mais la critique de l’artisan de la Réforme portait également sur ce qui était vu "comme le pouvoir du pape", explique le Père Bascoul. "C’est un paradoxe, admet ce dernier. C’est le pape qui décide et en même temps Dieu fait ce qu’il veut !"
Si l’Église catholique a reconnu les abus liés aux indulgences lors du concile de Trente (1545-1563), elle a maintenu l’idée du pouvoir du souverain pontife. Dans sa constitution apostolique "Indulgentarium Doctrina" (1967), le pape Paul VI "assume une théologie des indulgences, disant, résume le Père Jérôme Bascoul, que l’on peut gagner des indulgences sans le savoir, en faisant le bien".
Il y a, au fondement du catholicisme l'idée que l'Église catholique est "sacrement du salut", d'après le concile Vatican II. Et donc qu'elle "peut agir via les sacrements", explique le Père Bascoul. "L’indulgence, dit-il, n’oblige pas Dieu... Elle donne au pénitent une certaine assurance (la garantie de l’Église) que, si ses dispositions sont bonnes, Dieu voudra bien lui remettre tout ou partie de sa peine temporelle"**.
En mai 2024, la Pénitencerie Apostolique, instance du Vatican, a publié la liste des conditions pour recevoir l’indulgence plénière. À sa suite, les diocèses de France ont publié la liste des lieux jubilaires où les fidèles peuvent accomplir les démarches pour l’obtenir. C’est le cas par exemple du sanctuaire de Lourdes, annoncé comme lieu jubilaire où recevoir l’indulgence plénière par un décret de Mgr Jean-Marc Micas.
Décret, conditions… Pour parler de l’indulgence, l’Église catholique emploie un vocabulaire emprunté aux domaines de l’économie ou du juridique. "Ce ne sont que des analogies", commente le Père Bascoul. Pour lui, "la doctrine des indulgences a besoin d’être expliquée, car elle évoque une comptabilité désuète de jours de purgatoire à faire en moins, moyennant quelques prières, ou encore l’effet automatique des indulgences, au mépris de la contrition"**. Le fond du sujet est avant tout spirituel. Comme pour tous les sacrements, explique le Père Bascoul, celui qui les reçoit est invité à se demander : "Qu’est-ce que j’en fais ?".
Le jubilé invite les fidèles à entrer dans un autre rapport au temps et aux autres, selon le Père Bruno-Marie Duffé sur RCF, qui insiste sur la vision qu'en a le pape François. Quelque chose de nouveau peut surgir dans la relation après la faute commise ou le mal reçu. "Dans l’indulgence, il y a cette capacité à dire et à se dire mutuellement : Nous allons faire une histoire nouvelle avec le pardon et avec la grâce de Dieu. Ne soyons pas résignés ou désespérés."
La théologie du jubilé est une lecture spirituelle de la chemita, un mot hébreu qui signifie "année de rémission". Le Livre du Lévitique instituait au temps des Hébreux "une année sainte" (Lv 25, 10) tous les cinquante ans. Un mécanisme de régulation sociale où les terres agricoles étaient laissées en jachère durant un an et les esclaves libérés.
"L’indulgence a quelque chose de plus communautaire, estime le P. Duffé, de beaucoup plus fort qu’on a pu le présenter simplement comme un effacement. On garde la mémoire, la mémoire est toujours là mais une nouvelle histoire commence ensemble. Nous avons pu refaire des liens d’alliance, de compréhension des liens d’amour avec le Seigneur, avec l’autre et avec nous-mêmes aussi."
* Jean Delumeau, "Le Péché et la peur - La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècle), éd. Fayard, 1983
** source : Diocèse de Paris
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