Continuer à croire, mais seul. Pratiquer, mais dans le cercle restreint des amis et de la famille... Les révélations d'abus spirituels et d'agressions sexuelles dans l'Église catholique ont profondément atteint la vie de foi des victimes et de ceux qui ont recueilli leurs témoignages ou qui les ont accompagnées. Après le rapport de la Ciase, peut-on encore servir l’Église catholique ? Dans ce sixième et dernier épisode de "Silence, on crie", Stéphanie Gallet pose la question de la foi à Alexandre Hezez, Patrick Goujon, Louise, Esther et Jean-Pierre Fourny, les cinq témoins du podcast.
Quelle relation à Dieu quand on a été victime d’abus spirituel ou d’agressions sexuelles dans l’Église catholique ? Après le rapport de la Ciase, peut-on encore servir l’Église catholique ? Stéphanie Gallet pose la question de la foi à Alexandre Hezez, Patrick Goujon, Louise, Esther et Jean-Pierre Fourny. Dans ce sixième et dernier épisode de "Silence, on crie", les cinq témoins du podcast racontent où ils en sont de leur relation à Dieu et à l'Église aujourd'hui.
Laïcs engagés dans l’Église catholique, religieuses et religieux, membres du clergé, théologiens, journalistes de la presse chrétienne… Parce que la crise des agressions sexuelles concerne toute l’Église, vous entendrez aussi la parole de Sophie Lebrun et Étienne Pépin, journalistes, du théologien Joël Molinario, du juge pour enfants Édouard Durand, ancien président de la Civiise, de la psychologue Lorraine Angeneau, de Sr. Véronique Margron, religieuse dominicaine et présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France), de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF). Et enfin, les paroles de Catherine et Joseph, deux membres du collectif Agir pour notre Église. Tous ont pesé leurs mots pour dire avec le plus de justesse possible ce qui a changé dans leur vie de foi après les révélations.
Alexandre Hezez : "Je ne suis plus du tout ni catholique ni fervent"
"Moi, mon but au départ, c’était parce que j’étais catholique pratiquant. Je ne voulais pas sauver l’Église mais j’étais dans une optique où, en tant que catholique pratiquant, je ne pouvais pas laisser faire ça…
Pendant très longtemps, peut-être jusqu’en 2020, donc encore trois ans, j’ai été extrêmement fervent. Je croyais à l’institution. Et en fait au fur et à mesure, j’en ai été dégouté, même si j’ai vu des personnes formidables dans l’institution, des personnes qui ont changé aussi, qui ont compris…
Je ne suis plus du tout ni catholique ni fervent. J’ai ma propre spiritualité. Je crois au Christ mais sans aucune force et chape de l’institution. Ça a été très difficile au départ d’accepter. Quand on a sa propre spiritualité on devient tout seul et c’est vrai que ce trou béant, j’ai du mal à le remplir mais finalement je suis très heureux comme ça et très aligné."
Alexandre Hezez, co-fondateur de La Parole libérée, est le témoin du premier épisode du podcast Silence, on crie
Combien de victimes d’agressions sexuelles ou d’emprise ont, comme Alexandre Hezez, rejeté l’Église catholique ? Et qu’est-ce que ça fait sur la vie de foi ? Quand elle était religieuse, Louise*, témoin du troisième épisode du podcast Silence, on crie, a été victime d’abus spirituels. "Ma foi elle a changé, c’est sûr ! Ma relation à Dieu, elle a beaucoup évolué. Ce n’est plus la même, dit Louise, elle est différente mais elle est quand même là." Louise se réjouit d’avoir depuis peu "recommencé à prier"…
Pour Esther* aussi, la foi a changé. Dans le quatrième épisode du podcast, elle revient sur la façon dont l’emprise spirituelle de son professeur de philosophie et accompagnateur spirituel a conduit à l’agression sexuelle. Aujourd’hui, "je suis revenue vers ce que j’avais il y a quelques années, c’est-à-dire d’être à nouveau juive pratiquante, ce qui est ma religion de naissance, tout en ayant un attachement et une foi envers Jésus extrêmement profonde. J’arrive du coup à me dire que je suis une juive chrétienne."
Dans le cinquième épisode du podcast, on découvre le long chemin qu’a parcouru Jean-Pierre Fourny. Victime d’un religieux de la congrégation des Frères de Saint-Gabriel (FSG), il ne rejette pas tout de la foi et de l’Église catholique, puisqu’il est devenu ami avec les supérieurs actuels des FSG. Et qu’il a même rencontré le pape François. Mais "je ne vais pas aller me mettre à genoux, dit-il, et faire mon signe de croix que je ne fais plus depuis longtemps. Non, je vais essayer de parler à Dieu pour voir s’il peut m’aider…"
"C’est quand même des exceptions, les personnes qui ont continué dans la foi", observe le théologien Joël Molinario, ancien membre de la Ciase. Pour beaucoup, ce n’est plus en tout cas la même vie de foi ni la même façon de pratiquer. Certains poursuivent désormais seuls, comme Alexandre Hezez. D'autres pratiquent en cercle restreint, avec des gens de confiance ou de façon recentrée sur la famille.
C’est ce dont témoigne par exemple la journaliste Sophie Lebrun : "Je suis une catholique très difficile parce que je suis une catholique exigeante aujourd’hui. J’aimerais pouvoir pratiquer ma religion et ma foi dans un lieu où je me sens en sécurité. Et en fait c’est très compliqué. Parce que je ne veux pas être dans un lieu où je risque un jour d’enquêter sur mon curé ou sur la communauté qui tient le lieu où je suis. Eh bien je n’ai pas beaucoup de possibilités, je n’ai pas beaucoup de choix… Et du coup, on s’est rabattus sur des solutions familiales, sur des prêtres amis de la famille."
Le scandale des violences sexuelles dans l'Église rend bon nombre de fidèles plus difficiles, plus critiques et plus exigeants aussi, à l'égard de l'institution. Pour le théologien Joël Molinario il s’agit même d’être désormais plus "vigilant" sur les points de doctrine et la façon dont on interprète la Bible et les Écritures. "La foi, d’une certaine manière, est plus forte. Mais c’est la doctrine qui est fragile. C’est la lecture des Écritures, c’est les sacrements : tout ça, c’est des pratiques de l’Église qui sont fragiles et qui sont dévoyables. Donc on doit être d’autant plus précis et rigoureux quand on parle de la doctrine, des Écritures et des sacrements."
Patrick Goujon : "Ma foi, elle m’a sauvé, vraiment !"
"Ce qui me guide encore ? Dieu. Il voit la misère de son peuple. Ce qu’il dit à Moïse : Je descends. Dieu descend dans la misère de son peuple. Il n’y a pas d’autre manière pour Dieu de venir à notre aide que de venir avec nous…
Ma foi elle m’a sauvé, vraiment ! J’allais dire : Sans la foi chrétienne, je pense que je me serais perdu. En fait, ce que je veux dire par là, c'est : Je suis capable d’identifier combien notamment l'apport de la spiritualité ignatienne des jésuites, mais plus fondamentalement l’Évangile et certaines formes de la vie ecclésiale, m’ont permis de devenir un homme, un adulte, de m’adresser à Dieu et de pouvoir rendre possible que d’autres le reconnaissent."
Patrick Goujon est le témoin du deuxième épisode du podcast Silence, on crie
Parfois, le désir est plus grand encore d’approfondir, d’aller relire les textes. "En rien, ces affaires n’ont affecté ma foi, confie le journaliste Étienne Pépin. Vraiment, ma foi est restée solide et même, ces affaires ont provoqué chez moi le désir d’approfondir certains points du Credo qui étaient essentiels. Et ça a même suscité chez moi un désir plus profond de spiritualité, d’intériorité, de prière, d’abandon aussi dans la prière."
Certains scrutent ce qui, dans la proposition spirituelle de l’Église catholique, constitue un point de repère. Ainsi la religieuse dominicaine Véronique Margron confie : "Ce qui ne m’a jamais abandonnée, c’est de croire au Christ crucifié. Je suis dans cette situation où je crois en la Résurrection et je pense que j’ai un tout petit peu fait l’expérience… de pressentir le Crucifié à travers le récit des victimes."
Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la CEF, se sent lui invité à questionner la notion de salut : "Le salut, il n’est pas aussi éclatant ici-bas qu’on pourrait le rêver. On pourrait rêver qu’à partir du moment où on est dans la grâce du Christ, on est sorti de perversions humaines trop grandes, trop destructrices. Malheureuses ce n’est pas forcément le cas. Pour moi, c’est une question sur l’efficacité du salut. Je pense qu’il faut la situer autrement. En tout cas, ça a renforcé chez moi l’idée que l’efficacité du salut c’est de nous rendre capable de combattre, de nous laisser transformer, etc., mais ce n’est pas de nous laisser dans un état parfait, ou dans un état dans lequel il suffirait de rester."
Comme le résume Joseph, membre du collectif Agir pour notre Église, être "en délicatesse avec l’institution", cela oblige à "être acteur de sa propre foi, acteur de son sacerdoce de baptisé".
* Les prénoms ont été changés
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