Est-ce la fin du permis à vie ? La question est au cœur des échanges au parlement européen pendant deux jours. Ils doivent débattre sur plusieurs propositions en lien avec la sécurité routière, et en particulier, celle de rendre obligatoire un contrôle médical pour les conducteurs, tous les 15 ans.
Eviter les accidents commis par les personnes devenues inaptes à la conduite, tel est l’objectif de la proposition de loi débattue ces 27 et 28 février au Parlement européen. Elle vise à rendre obligatoires et réguliers les contrôles médicaux des conducteurs. Voilà cinq ans que Pauline Déroulède, championne du monde de tennis-fauteuil, se bat pour instaurer ce type de mesure, après avoir été victime d’un grave accident en octobre 2018.
« J’étais sur un trottoir parisien et j’ai été fauché par un automobiliste de 90 ans, qui a perdu le contrôle de son véhicule en confondant la pédale d’accélérateur avec celle du frein. Malheureusement j’ai perdu sur le coup ma jambe qui a été arrachée », raconte-t-elle.
C’est pour éviter ce genre de drames que Karima Delli, eurodéputée écologiste et présidente de la commission "Transport et tourisme", défend cette proposition de loi. L’intérêt pour elle, est « d’anticiper » les problèmes de vue, d’ouïe ou encore de réflexe, qui pourraient compliquer la conduite. Une « politique de prévention » nécessaire à ses yeux, bien que ces accidents représentent une part moindre des accidents en France ; la vitesse excessive et l’alcool étant les deux premières causes (28% et 23%).
Pour le moment, ces contrôles médicaux auraient lieu tous les quinze ans. « C’est un compromis » entre ce qui est déjà fait dans certains pays, explique Karima Delli. En effet, le contrôle médical des conducteurs est déjà instauré dans treize pays de l’Union européenne. Aux Pays-Bas, il doit être passé tous les cinq ans à partir de 75 ans ; au Portugal, il a lieu dès 40 ans puis à 50, 65 et 75 ans. Enfin, d’autres pays comme la Belgique ne prennent pas en compte l’âge. Le permis doit y être renouvelé sur certificat médical tous les dix ans.
Cette mesure pourrait pallier les limites du système actuel, d’après les associations de victimes de la route. Jusqu’à maintenant, ce sont les médecins ou les familles qui doivent prendre la responsabilité de prévenir ou de signaler une personne de leur famille qu’elle ne jugerait pas apte. « C’est un sujet délicat et donc le fait de rendre obligatoire cette visite médicale, ça peut contribuer à mieux identifier les cas où il y aurait des inaptitudes avérées », estime Pierre Lagache, vice-président de la Ligue contre les violences routières, qui appelle à un meilleur accompagnement des familles et à une meilleure formation des médecins.
C’est dur de s’auto-évaluer et d’arrêter de conduire par soi-même.
Un constat partagé par Pauline Déroulède qui a pu s’entretenir avec le chauffeur qui l’a fauchée : « il savait qu’il n’était plus capable, il repoussait l’échéance, c’était dur d’arrêter de lui-même de conduire », relate-t-elle. Rongé par la culpabilité, ce dernier lui aurait dit : « s’il y avait une loi, je l’aurais respecté ».
Mais cette mesure n’est pas vu d’un très bon œil par les défenseurs des automobilistes. En plus d’être « une véritable usine à gaz », difficile à mettre en place et coûteuse, cette mesure représente une forme de « remise en cause du permis » inacceptable, selon Philippe Nozière, président de l’association 40 millions d’automobilistes. « On remet en cause un diplôme obtenu, c’est comme si on remettait en cause votre baccalauréat et qu’on vous demandait de le repasser au bout de quelques années », compare-t-il.
Pour l’association, qui a déposé une pétition en ligne contre cette proposition, elle est inutile, compte tenu de la part « anecdotique et minime » que représentent les accidents causés par personnes inaptes à la conduite. Selon Philippe Nozière, il vaudrait mieux « mettre en place une vraie politique de prévention et de répression de la conduite sous alcool et sous stupéfiant et faire en sorte que les grands délinquants de la route soient plus sanctionnés qu’ils ne le sont ».
Enfin, les détracteurs de cette mesure estiment qu’elle constitue une discrimination à l’égard des personnes âgées. « On est en train de dénigrer nos seniors, parce que sous couvert d’une visite médicale tous les 15 ans, ce que l’on cherche à faire, c’est de retirer le permis de conduire à tous les gens qui vont avoir plus de 70 ans », s’inquiète Philippe Nozière.
« On n’est pas là pour leur supprimer le permis », rétorque Pauline Déroulède. « Moi je n’ai jamais voulu stigmatiser les seniors, parce que je pense qu’on n’est pas tous égo. On peut être inapte à 50 ans parce qu’on a une maladie dégénérative et totalement apte à conduire à 80 ans parce qu’on est en totale possession de ses moyens. »
Pour répondre aux inquiétudes, la para-athlète présente cette proposition comme « une mesure de protection envers tous les usagers de la route ». Et d’ajouter : « c’est des questions de vie ou de mort. Qu’est-ce qui est le plus grave ? De laisser conduire des gens inaptes qui provoquent des accidents, des vies brisées ? ».
Qu’adviendrait-il des personnes qui ne seraient pas jugées aptes à la conduite ? C’est le point sensible de cette proposition. Le risque étant qu’une autre discrimination s’installe, celle envers les personnes vivant à la campagne. « Ces gens bienpensants n’ont aucune considération pour les gens qui vivent dans les campagnes et dans les zones périurbaines, qui ont besoin de se déplacer pour aller faire leurs courses, pour aller à l’hôpital ou à l’école. Tous ces gens ont un besoin impérieux de leur véhicule », martèle Philippe Nozière de 40 millions d’automobilistes, pour qui cette proposition est une mesure « anti-voiture » dissimulée.
Un problème dont a bien conscience l’eurodéputée Karima Delli. « Il faudra réveiller le gouvernement avec une vraie politique alternative sur des services à la personne. Il est grand temps de remettre des transports publics à heure régulière et avec plus de fréquence, de faire en sorte que des voitures partagées soient mis à disposition, et que des trains soient rouverts dans les zones rurales », lance-t-elle. Ce sera à chaque gouvernement respectif de plancher sur cette question.
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