Faut-il voter pour l’extrême droite afin de lutter contre l’antisémitisme en France ? Question qu’on ne pensait jamais poser au vu de l’Histoire du XXe siècle, de l’histoire du Front puis du Rassemblement national et des idées véhiculées par ce dernier. Mais c’est une question qui se pose aujourd’hui pour certains juifs français. L’alliance de toute la gauche avec La France insoumise, accusée d’antisémitisme, dans le cadre de la Nupes a précipité des membres de la communauté juive dans les bras de l’extrême droite, au grand désespoir d’autres coreligionnaires ou d’intellectuels qui y voient le signe d’un déboussolement.
“Malheureusement, je pense que l’extrême droite est la seule solution pour un juif en France aujourd’hui” assure Eli, en rangeant ses courses dans le coffre de son monospace familial devant un Hypercacher à Lyon. “J’ai des arrière-grands-parents qui sont morts dans les camps à Auschwitz”, précise-t-il. “S’il fallait choisir, je pense que l’extrême droite serait le meilleur parti à choisir, le plus évident pour nous car il nous comprend un peu plus”, abonde une autre cliente Déborah, rencontrée quelques mètres plus loin.
Un refrain également entendu dans la bouche de personnalités plus connues. L’avocat Serge Klarsfeld, surnommé le chasseur de nazis, gardien vivant de la mémoire de la Shoah, a affirmé qu’il voterait Rassemblement national en cas de duel avec La France Insoumise lors des élections législatives. Il oppose un RN qui a “fait sa mue” et “soutient les juifs” face à LFI qui serait, selon lui, “résolument antijuifs”.
Je ne vois pas d’avenir pour les juifs en France si l’extrême gauche passe
“Chacun a le droit à ses erreurs”, avance timidement Anna sur le parking de Hypercacher. “Les extrêmes ne sont pas bons dans tous les cas de figure”, tempère-t-elle avant de poursuivre : “de toute façon, l’extrême gauche n’est pas bonne pour nous, car l’antisémitisme y est flagrant”. “Je ne vois pas d’avenir pour les juifs en France si l’extrême gauche passe”, approuve Déborah. “Si la gauche passe, beaucoup de mes coreligionnaires ne vont pas rester en France”, s’inquiète Eli.
Avec la recomposition politique actuelle et un camp présidentiel inaudible sur la question, le débat sur l’antisémitisme s’est polarisé entre les deux extrêmes. Et avec l’alliance du Nouveau Front populaire toute la gauche est devenue un repoussoir. “On a une digue qui a clairement sauté avec cette alliance”, s’émeut Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France. “Les responsables des différents partis de gauche républicaine qui se sont alliés avec LFI savent bien que Jean-Luc Mélenchon et certains de ses députés ont eu des propos manifestement antisémites”. Il parle donc d’une digue qui saute en constatant que l’antisémitisme peut “devenir un désaccord politique et non pas une ligne rouge infranchissable”.
Au sein du Nouveau Front populaire, c’est la France Insoumise qui cristallise les critiques. En cause : son refus après le 7 octobre de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, son refus également de participer à la marche du 12 novembre contre l’antisémitisme. Il y a également ce député sortant du Nord, David Guiraud qui référence aux "dragons célestes" pour désigner l'Observatoire juif de France, une expression issue d’un manga, détournée par des internautes antisémites pour désigner des juifs sans les nommés, notamment sur les réseaux sociaux.
Il y a également le cas Jean-Luc Mélenchon. Le leader insoumis cultive une ambiguïté sur la question depuis près de dix ans. Comme en 2013, lorsqu’il véhicule l’image du banquier juif en accusant Pierre Moscovici de ne “pas penser français”, mais “finance internationale”. Ou en 2020 lorsqu’il parle Jésus crucifié par “ses propres compatriotes”, référence aux juifs comme "peuple déicide”, l’une des racines de l’antisémitisme chrétien. Et puis récemment ses déclarations sur l’antisémitisme qui resterait “résiduel” en France ont provoqué un tollé jusque dans les rangs de la gauche.
Résultat aujourd’hui, Yonathan Arfi, président du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) accuse la France Insoumise d’avoir fait, “de la haine des juifs son fonds de commerce électoral”. "Quand on minimise les actes d'un mouvement antisémite, c'est qu'au fond, l'antisémitisme ne dérange pas", estime-t-il a propos du refus de LFI de qualifier le Hamas d’organisation terroriste.
Le Front populaire doit faire un travail d’introspection pour sortir du déni sur l'antisémitisme
“Sans généraliser à l’ensemble de la gauche, certains cadres ont eu des propos ouvertement antisémites et il y a un problème assez global depuis le 7 octobre avec un discours faisant des juifs les responsables de la guerre en cours à Gaza, des massacres et de la politique du gouvernement israélien”, reconnaît Lorenzo Leschi, porte-parole du collectif Golem qui rassemble des Juifs français de gauche. “Au-delà des individus, il y a toute une dangereuse rhétorique qu’il faut combattre”, assure-t-il.
L’alliance de toute la gauche avec LFI ne facilite donc pas la tâche ou le discernement de ce collectif. “Pour nous le danger principal pour la société française et les Juifs français, c’est l’extrême droite”, affirme quand même Lorenzo Leschi. “Cela ne signifie pas qu’on oublie toutes les dérives antisémites de la France Insoumise depuis le 7 octobre, on aimerait que le Front populaire fasse un travail d’introspection pour sortir du déni et on aurait souhaité que les candidats qui ont tenu des propos antisémites ne soient pas investis”, souligne le responsable.
De l’autre côté de l’échiquier politique, le Rassemblement national profite de la diabolisation de son concurrent d’extrême gauche. La situation actuelle est un exemple supplémentaire que la longue dédiabolisation du RN porte ses fruits. Une normalisation que le Rassemblement national a encore accéléré avec l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, contre Israël. Les héritiers de Jean-Marie Le Pen étaient, eux, dans le cortège du 12 novembre dernier lors de la marche contre l’antisémitisme.
Face à cette tentation de l’extrême droite, les institutions juives tentent de désamorcer ce risque. "Nous appelons à un bloc républicain qui rejette les extrêmes", annonçait Yonathan Arfi sur France Inter. "Il y a des alternatives à cette opposition entre une extrême gauche antisémite et une extrême droite nationaliste et populiste", assure le président du CRIF. “Je refuse le choix cornélien qui nous est fait entre les deux extrêmes”, scandait le président du CRIF Sud-est, Jérôme Culioli, lors d’une manifestation à Nice, le 21 juin.
“Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, cela signifie que toute une tradition politique a fini par l'emporter et c’est insupportable”, s’insurge également Samuel Lejoyeux. “Je pense qu’il ne faut pas s’arrêter l’historique car si on considère le présent, je rejette l’idée selon laquelle le RN aurait changé”, ajoute-t-il. “Le RN fait des grandes déclarations en affirmant être le principal rempart face à l’antisémitisme, mais cela ne concerne que l’antisémitisme issu de l’extrême gauche, des étrangers et de l’immigration”.
Les juifs sont complètement déboussolés par une hausse terrifiante de l’antisémitisme
L’antisémitisme toujours présent au sein de l’extrême droite ? “Évidemment”, répond Samuel Lejoyeux. “La preuve : il y a des candidats du RN pour ces législatives qui ont eu des propos abominables s’agissant de l’antisémitisme”, étaye-t-il. On pense notamment à Agnès Pageard dans le 10e circo de Paris qui parle du “peuple de trop” ou qui utilise des slogans antisémites. À Françoise Billaud dans les Côtes d’Armor, signalée par la Ligue des droits de l'Homme et qui rend hommage à Pétain ou à un collaborationniste. Sophie Dumont en Côte d’Or qui diffuse les textes du journal antisémite “Faits et Documents”. Ou encore Louis-Joseph Pécher, lâché par Eric Ciotti pour des ”propos antisémites et homophobes”.
Samuel Lejoyeux ne comprend donc pas les voix juives qui s’élèvent en soutien au Rassemblement National. “On est plus sur un symptôme du fait que les juifs sont complètement déboussolés par une hausse terrifiante de l’antisémitisme, par des actes de plus en plus violents et par la présence au deux premières place dans les sondages de listes qui, chacune à leur façon, mettent en danger les Juifs en France”, conclut-il.
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