Être attentif aux petits riens : le grand enseignement des évangiles ?

Après "Fratelli tutti", l'encyclique du pape François, "Rikiki tutti", une "anticyclique" du Père Raphaël Buyse ! C’est en effet un drôle de titre que celui de son dernier livre : "Rikiki tutti - Ou la saveur secrète du trois-fois-rien" (éd. Desclée de Brouwer, 2024). "Ça m’a amusé, explique son auteur, de penser qu’on pourrait avoir aussi quelque chose de rikiki tutti, un recueil de petites chroniques à partir des petites choses de la vie." Le Père Raphaël Buyse est prêtre du diocèse de Lille et membre de la Fraternité diocésaine des parvis. Son livre "Autrement, Dieu" (éd. Bayard, 2020) a reçu le prix du livre de spiritualité Panorama-La Procure. Tout ce qu’il y a de plus sérieux ! D’ailleurs le propos de son livre "Rikiki tutti" s’inspire ni plus ni moins des évangiles. 

L’ordinaire des jours : ne pas laisser son cœur "rétrécir"

Dans la tradition catholique, "ordinaire" est un nom familier. Par exemple, "l’ordinaire de la messe" désigne l’ensemble des prières et des chants qui reviennent à chaque messe. L’ordinaire, d’après son étymologie, c’est l’ordre des choses, ce qui est normal, habituel.

On serait tenté de croire que l’ordinaire c’est aussi l’inchangé, l’immuable, le contraire de ce qui nous surprend. Et du coup l’insignifiant, ce qui n’a pas d’importance ou à quoi on ne fait plus attention. Et si, sans s’en rendre compte, on laissait notre cœur se rétrécir ? 

Laisser son cœur se rétrécir : c’est ce contre quoi Madeleine Delbrêl (1904-1964) mettait en garde. Une personnalité qui "compte beaucoup" pour Raphaël Buyse. Un jour, elle qui était assistante sociale, a dit lors d’une conférence à de futures assistantes sociales : "Quand vous allez rendre visite à des gens, mettez-vous bien dans la tête qu’il n’y a pas de petite rencontre. Et si jamais un jour dans votre vie professionnelle, il y a une rencontre vous paraît petite, alors c’est le signe clair que vous avez rétréci votre cœur."

 

Cette attention aux petites gens, c’est constant dans l’Évangile

 

L'attention aux petits dans les évangiles

"Je pense que l’évangile nous invite à porter une attention particulière aux petites choses et aux petites gens", confie Raphaël Buyse. D’ailleurs lui-même, s’il se sent souvent "touché par la vie des gens" et par les "petits événements", c’est qu’il "tient ça de Jésus". "Il est pour moi une référence."

Aller vers les petites gens, être attentif aux petits riens de la vie : Jésus a fait cela tant de fois ! "Quand on lit l’évangile, on voit un homme qui ne cesse pas d’aller et venir, nous dit le Père Buyse. Et tout le temps, ce qui lui arrive, ce sont des petites rencontres, des petites choses qui lui donnent l’occasion de dire quelque chose d’un Dieu qu’il reconnaît être comme sa source."

Par exemple, cette "veuve misérable" au Temple de Jérusalem que seul Jésus voit. "Levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie." (Lc 21, 1-2) Ce que nous enseigne Jésus, c’est à changer de regard sur l’ordinaire, à voir les petits riens qui sont en réalité exceptionnels ! "Cette attention aux petites gens, c’est constant dans l’Évangile."

 

Où est passé le Dieu grandiose ?

Bien sûr, un Dieu attentif aux petits rien, cela détonne avec ce qu’on lit par exemple au Livre de l’Exode. Le récit des dix plaies d’Égypte, de la mer Rouge fendue en deux ou même du buisson ardent. Autant de passages bibliques qui donnent l’image d’un Dieu puissant et extraordinaire. "En Jésus il y a quelque chose d’infiniment plus simple qui se passe. C’est Dieu à portée d’homme, à âmes égales", observe le Père Buyse.

Les chrétiens croient à la divinité de Jésus. Pour autant, dans les évangiles c’est un visage humain de Dieu qui est révélé. "Ce qui me touche infiniment dans l’évangile, confie Raphaël Buyse, ce n’est pas tellement la divinité de Jésus - à laquelle je crois mais ce n’est pas d’abord par-là que je m’intéresse à lui. Ce qui me fascine, vraiment, dans l’évangile c’est sa profonde humanité."

Ce point de vue appuyé sur une attention portée vers les petites choses ou les "petites gens" ne nivèle-t-il pas par le bas ? "Ce n’est pas un nivellement du tout, s'exclame Raphaël Buyse. Au contraire, on touche ici à la grandeur de l’homme. C’est que le grand se cache dans le petit : c’est une constante dans l’évangile, c’est une constante dans l’aventure du peuple d’Israël. C’est toujours dans du petit que le grand se révèle. Toujours !"