Dans l'Évangile de ce dimanche, on voit Jésus opérer un miracle en réponse à la supplication d'une femme païenne, une non-juive. Mais alors Jésus, le Messie que les Juifs attendaient, est-il venu pour les Juifs ou pour les païens ? Et si, en racontant l'épisode de la guérison de la fille de la Cananéenne, Matthieu décrivait la conversion du Christ ?
Évangile du dimanche 20 août (Mt 15, 21-28)
Partant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! » Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
Source : AELF
L’Évangile de ce dimanche est un épisode crucial dans la vie de Jésus. La rencontre avec la Cananéenne, une femme païenne, non-juive, lui fait comprendre la soif de toutes les nations et l'amplitude de sa mission. Commentaires de la bibliste Régine Maire.
Pour savoir ce qui se joue dans ce passage de l’Évangile de Matthieu, il faut comprendre où il se situe dans la Bible. Pour Régine Maire, il "fait la charnière" entre deux épisodes importants : celui de la manne, c’est-à-dire de la nourriture, tombée du ciel (au chapitre 16 du Livre de l’Exode, quand le peuple hébreu est au désert) et celui de la multiplication des pains. De l’un à l’autre, c’est ce qu’un exégète a nommé "l’affaire du pain" : d’une nourriture donnée au peuple hébreu dans le Premier Testament à des pains en abondance pour tous, y compris les païens, dans le Nouveau Testament, il y a un élargissement. On passe d’un Dieu qui s’adresse au peuple élu à un Dieu sauveur de toute l’humanité.
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L’épisode de la Cananéenne, dans l’évangile de Matthieu, fait suite à une controverse avec les pharisiens sur le pur et l'impur. Cela aussi vient "éclairer" l'évangile de ce dimanche, selon la bibliste. L’idée d’un Dieu qui s’adresse à tous les humains, mêmes les "impurs" - ceux qui ne suivent pas la loi de Moïse - on la retrouve dans le déplacement géographique de Jésus. Il est dit qu’il passe "dans la région de Tyr et de Sidon", autrement dit des territoires païens - c’est-à-dire habités par des peuples "qui ne croyaient pas au Dieu d'Israël et qui avait sans doute leurs propre dieux", explique Régine Maire.
La femme qui interpelle Jésus vient de la "terre de Canaan". Cette terre - sans doute la Phénicie, c'est là où le peuple hébreu est arrivé après avoir traversé le désert pendant 40 ans. Mais l'expression a un sens "multiple" et "revêt une connotation païenne, ajoute Régine Maire, parce que le peuple hébreu, quand il est arrivé en Canaan, il a dû imposer sa foi à un peuple étranger." Si Matthieu l'appelle cette femme la Cananéenne, l'évangéliste, Marc, lui, l'appelle la Syro-phénicienne : "pour bien marquer à la fois cette dimension d'étrangère et aussi de païenne".
La Cananéenne est donc la figure de la païenne, de la non-juive, qui a reconnu en Jésus le Messie. Racontée par Matthieu, son histoire s’adresse aux premiers chrétiens. L’évangéliste l’a écrite autour des années 80, à Antioche, "une ville où il y avait beaucoup de judaïsants", précise la bibliste. "Et où cette question a dû se poser : à quoi obliger les gentils, les païens, les Craignant-Dieu [des non-juifs attirés par le judaïsme, ndlr], qui demandent à devenir disciples de Jésus ? Faut-il leur interdire l'accès s'ils ne veulent pas respecter les lois de la nourriture, par exemple, ou de la circoncision ?"
Jésus, le Messie que les Juifs attendaient, est-il venu pour les Juifs ou pour les païens ? Il dit en effet qu’il n’a "été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël". Mais finalement, il opère un miracle pour la fille de la Cananéenne. Et si Jésus lui-même s’était converti ?
"Dans Tout l’Évangile, on voit comment Jésus est sensible aux rencontres, aux événements, commente Régine Maire, et que c’est ça qui va aussi éclairer sa mission et sa vocation." Par sa persévérance et son humilité, la Cananéenne suscite quelque chose chez Jésus. Elle fait partie de ces rencontres qui ont aidé le Christ "à entrer dans sa vocation profonde". Régine Maire note d'ailleurs que "ce n'est pas tant une réflexion théologique qui va changer les esprits, mais les événements…"
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