Il y a soixante ans, le 13 octobre 1964, disparaissait Madeleine Delbrêl. Cette date anniversaire est l'occasion de redécouvrir la spiritualité de celle que l'on présente comme une grande figure du catholicisme social. Pour son biographe, le Père Gilles François, elle a été une pionnière, proposant une approche originale de la liturgie pour les laïcs.
Le 13 octobre 2024 on commémore les soixante ans de la mort de Madeleine Delbrêl. Cette figure importante du catholicisme social du XXe siècle a été récemment saluée par le pape François. Assistante sociale à Ivry-sur-Seine, Madeleine Delbrêl a souvent été décrite comme une femme d’action, privilégiant la charité au reste. En réalité elle a "pensé" la messe, comme le décrit le Père Gilles François, prêtre du diocèse de Créteil, historien et postulateur de la cause en béatification de Madeleine Delbrêl. Co-auteur avec le Père Bernard Pitaud, du livre "L’eucharistie vécue par Madeleine Delbrêl - Le nécessaire constant de notre vie" (éd. Nouvelle Cité, 2023), il décrit en quoi cette femme laïque était pionnière dans son approche de la liturgie proposée aux laïcs.
En 2024, on commémore les 60 ans de la mort de Madeleine Delbrêl, survenue le 13 octobre 1964. On célèbre aussi les 120 ans de sa naissance, le 24 octobre 1904 en Dordogne. On fête enfin les cent ans de sa conversion, en 1924.
Conversion sur laquelle Madeleine Delbrêl est restée mystérieuse – quand et où a-t-elle eu lieu ? On ne sait pas exactement. Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’autour de ses 19, 20 ans, elle a repris le chemin de l’église. Elle qui avait fait "profession d’athéisme" à l’adolescence et qui avait même écrit un manifeste : "Dieu est mort vive la mort".
Fille unique d’un père agnostique, "poète et chef de gare", selon Gilles François, Madeleine Delbrêl avait une sensibilité artistique particulièrement développée. Sans doute avait-elle de quoi "combler une vie". Mais c’est sa rencontre avec un groupe d’étudiants catholiques fervents qui a "semé le doute dans son athéisme" - ainsi a-t-elle décrit plus tard sa mission auprès des milieux communistes athées d’Ivry-sur-Seine.
Si Madeleine Delbrêl a très peu écrit sur l’eucharistie, elle allait à la messe tous les jours. Elle raconte dans ses lettres ces petits matins d’hiver où elle se rendait de nuit à l’église Saint-Dominique à Paris, non loin de chez ses parents, pour assister aux messes de semaine. Plus tard, à Ivry-sur-Seine, où elle vivait avec une quinzaine d’autres femmes laïques, la vie était rythmée par les deux heures de prière quotidienne - dont la messe - et aussi les rendez-vous hebdomadaires appelés "cercles d’évangile" ou "recours à la personne de Jésus Christ". "C’est toujours Jésus Christ, commente Gilles François, c’est d’abord Jésus Christ."
Il y a dans la spiritualité de Madeleine Delbrêl, influencée par le courant de l'École française de spiritualité, l'idée "extrêmement forte" de se laisser transformer par Jésus. "Être non pas active mais agie par Dieu", écrit-elle. Comme le note Gilles François, Madeleine Delbrêl "retourne l’idée de l’action… Bien sûr, j’agis mais plus encore j’ai envie que Jésus agisse en moi."
Madeleine Delbrêl s'est, semble-t-il, convertie seule, à l’écart de ses amis catholiques. Et cependant, les autres, le groupe, a toujours compté dans sa vie de foi. "Il y a une expérience extrêmement intime et personnelle de sa rencontre avec le Christ, observe Gilles François, et en même temps elle dit très souvent « nous », donc c’est le nous des chrétiens, des disciples du Christ."
Pour elle, les deux commandements "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force" (Dt 6, 5) et "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19, 18) sont "intimement liés". Elle croyait profondément qu’elle et ses frères et sœurs sont sauvés par le Christ, par l’eucharistie : "Je crois que c’était son expérience vitale", nous dit le Père François.
Au temps de Madeleine Delbrêl, sa communauté de femmes laïques vivant ensemble était assez largement incomprise. Elles se disaient "paroissiennes". "La paroisse, explique Gilles François, c’est d’abord le lieu de la prière, de l’assemblée, du nous chrétien, du nous du Notre Père, du nous de l’eucharistie. Je ne suis pas simplement là pour ma messe, pour ma sanctification personnelle, mais parce que je suis riche et porteur, porteuse, de tous les gens que j’ai rencontrés."
Madeleine Delbrêl vivait ses journées un peu comme des messes. Elle a été pionnière dans forme de réappropriation du sens de la liturgie par les laïcs, eux qui ne peuvent, par définition, assister aux offices comme les religieux. Dans sa vision, il est possible de se rattacher à la liturgie à toute heure du jour. "Elle a le sens aigu de cette liturge qui structure le temps, qui est une façon de sanctifier le temps, pas seulement juste le moment de la messe."
Avec Madeleine Delbrêl on peut penser la messe autrement que comme un temps hors du temps. "En fait c’est une dimension assez peu connue de Madeleine Delbrêl, la source de la charité se trouve dans l’eucharistie, mais ça se diffuse tout au long du temps. Il y a une sanctification du temps par la liturgie. Et ça, elle en a un sens très aigu et en même temps très laïc." Ce qui n’est pas anodin quand on sait que Madeleine Delbrêl était attirée par le carmel et qu’il lui a fallu deux voire trois ans pour discerner sa vocation. Période à l’issue de laquelle elle a compris qu’elle était appel à servir Dieu dans le monde.
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