LE POINT DE VUE DE CLOTHILDE BROSSOLLET - La nuance est-elle encore possible dans le débat politique et médiatique ? C'est la question que se pose Clotilde Brossollet. Elle revient sur le projet de loi sur la fin de vie, arrivé la semaine dernière à l'Assemblée.
Le président de la République l’avait annoncé, le texte sur la fin de vie devait être un texte d’équilibre et ouvrir un nouveau modèle, spécifiquement français. Pourtant, lors de la première étape à l’Assemblée nationale, lors du passage en commission spéciale, les députés semblent s’en être donné à cœur joie pour envoyer, dans l’hémicycle, un texte, non plus équilibré, mais radical.
En commission spéciale, les députés se sont engouffrés dans la boîte de Pandore et ont fait du projet de loi, le texte le plus permissif en la matière. Le journaliste Pierre Jova, qui a fait le bilan de 22 ans de pratique euthanasique en Belgique dans son ouvrage Peut-on programmer la mort ? a expliqué que « tous les garde-fous qui ont mis des années à sauter en Belgique ont déjà été levés en France ».
En apparence, oui, mais en apparence seulement. Cette radicalité du texte est un véritable atout politique pour le président. Comme pour l’allongement de la durée légale de l’avortement, le Président pourrait, en cas de loi trop permissive, se cacher dernière le débat parlementaire et donc derrière la souveraineté populaire et ainsi se dédouaner tout en flattant son aile gauche. Surtout, un tel glissement fait perdre de vue le cœur du débat et le fait glisser non plus sur le bien-fondé d’un tel projet de loi, sur ses fondements anthropologiques et philosophiques, mais sur les conditions de sa mise en œuvre. Le piège est alors grand pour les opposants à l’euthanasie de concentrer leur combat sur le champ d’application de l’aide active à mourir et non plus sur l’existence même de ce projet de loi.
Cette stratégie politique est bien connue : par un discours extrême, elle rend banal et supportable ce qui au départ ne l’était pas. Cette stratégie pourrait donc être utile à Emmanuel Macron puisqu’elle lui garantit d’être dans le camp de la raison et qu’elle concentre les oppositions sur les verrous explosés et non sur le principe même de l’aide à mourir. Le calendrier parlementaire, qui inscrit ce débat dans la durée, favorisera l’épuisement des extrêmes dans des débats sans fin et favorisera donc le vote de la loi. Nous devons être vigilants pour ne pas nous laisser aveugler par les extrémistes militants de l’aide à mourir et ne pas laisser passer une loi qui se revendiquerait équilibrée.
Nous vivons dans une ère où la parole politique a perdu de sa substance. Elle se présente soit comme extrêmement technique, voire technocratique, comme si la politique devait se faire à la manière des cabinets de conseil, soit comme radicale et sans nuances. Les hommes politiques masquent leur manque de vision en portant un discours gestionnaire et masquent leur impuissance en portant un discours radical et violent. Le débat sur la fin de vie montre à quel point nous avons perdu la capacité à débattre du fond et comment le débat avec d’être démocratique est devenu une arme de stratégie politique.
Seule la nuance nous permettra de retrouver l’essence de la parole politique, nécessaire au démocratique. Dans son essai, Le courage de la nuance, paru en 2021, le directeur du Monde des livres, Jean Birnbaum dénonce l’assimilation de la nuance à la mollesse et la lâcheté. Il rappelle qu’il faut du courage pour refuser un monde réduit à n’être qu’en noir et blanc et pour assumer la complexité du réel. En reprenant des auteurs comme Bernanos, Barthès, Arendt ou Orwell, le journaliste nous invite à sortir de la violence du discours et de l’ère du soupçon permanent, pour retrouver une position juste, bien que difficile. Et pour ne plus étouffer « parmi les gens qui pensent avoir absolument raison », dénoncés par Camus, empruntons le chemin que Jean Birnbaum trace et commençons par soustraire le langage à la manipulation. Dans le débat sur la fin de vie, il y a de quoi faire !
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