Depuis plus de 20 ans, l'Église catholique en France est secouée par les révélations d'agressions sexuelles commis par des prêtres, des évêques, des religieux ou des laïcs.
Le rapport Sauvé, rendu public le 5 octobre 2021, marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Église catholique. Fruit de près de trois ans d’enquête, ce rapport a produit un effet puissant. Les chiffres qu'il a révélés ont provoqué une onde de choc. 330.000 mineurs ont été victimes d’agressions sexuelles dans l’Église catholique en France depuis 1950. La Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), dont le président était Jean-Marc Sauvé, avait été mandatée par la Conférence des évêques de France (CEF) et la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France). Depuis le rapport Sauvé, plusieurs personnes sont devenues référentes sur le sujet et sont souvent intervenues dans les médias, comme Véronique Margron, la présidente de la Corref, la théologienne Marie-Jo Thiel, le jésuite Patrick Goujon ou encore la victimologue Isabelle Chartier-Siben. Tous ont donné du poids aux témoignages des victimes.
La création de la Ciase avait été annoncée en février 2019, dans le contexte de l’affaire Barbarin. Mgr Philippe Barbarin, alors archevêque de Lyon, était accusé par La Parole libérée de non dénonciation d'actes pédocriminels - le dossier concernant Mgr Barbarin a finalement été classé sans suite. L’association La Parole libérée, créée en 2015, a voulu dénoncer à la fois les agressions du prêtre lyonnais Bernard Preynat et son traitement par la hiérarchie ecclésiale. Ainsi, la crise que traverse l’Église catholique est liée tout autant au scandale des faits d’agressions sexuelles qu’à sa gestion. C’est notamment ce qu’illustre le cas du diocèse de Strasbourg et la démission de l’archevêque Mgr Luc Ravel en mai 2023.
En reconnaissant, en novembre 2021, la "responsabilité institutionnelle de l’Église" et "la dimension systémique de ces violences", la CEF a posé les bases pour un changement culturel au sein de l’institution, vers plus de transparence. Elle a permis un changement de paradigme dans la prise en compte du témoignage des victimes. En mars 2024, les évêques ont annoncé la mise en place d’un nouveau dispositif, à destination des victimes adultes cette fois.
Dans son rapport, la Ciase formulait 45 recommandations. Certaines ont été d’emblées suivies. Ainsi dès l’automne 2021, la CEF et la Corref ont annoncé la création d’instances de réparation, l’INIRR et la CRR. Instances chargées entre autres de l’indemnisation des victimes. La CEF a aussi créé un nouveau tribunal pénal canonique national. Elle a mandaté un audit des cellule d'écoute pour les victimes au sein des diocèses et lancé une ligne d'écoute indépendante pour les victimes d'abus. Elle a aussi fixé au troisième dimanche de Carême une journée nationale de prière pour les victimes d'abus sexuels dans l'Église.
Mais parmi les 45 recommandations de la Ciase, toutes ne seront sans doute pas suivies. Certaines ont soulevé des polémiques, comme la recommandation n°8 sur le secret de la confession. D’autres comme la n°4, sont plus complexes à mettre en œuvre parce qu’elles touchent au statut et à la "représentation" du prêtre. En tout cas, en ce qui concerne les prêtres, la CEF a lancé un nouveau celebret avec un QR code pour certifier l'aptitude du ministre ordonné à célébrer la messe.
Voir des laïcs adresser des recommandations à la hiérarchie catholique, cela n’a pas toujours été bien reçu. L’Académie catholique, par exemple, a émis auprès du Vatican des critiques sur le rapport Sauvé. La visite de Jean-Marc Sauvé au Vatican a été reportée et à ce jour aucune date n’a été fixée. L’Église catholique parviendra-t-elle à parler d’une seule voix sur la lutte contre la pédocriminalité ?
Depuis la publication du rapport Sauvé, de nouvelles affaires ont trouvé un écho dans la presse, dont certaines mettant en cause des évêques, poussés à démissionner. Ainsi, à l'automne 2022, a éclaté l’affaire Michel Santier, suivie des aveux du cardinal Jean-Pierre Ricard. En novembre 2022 à Lourdes, le président de la CEF a annoncé qu’alors onze évêques étaient mis en cause. Ainsi, en même temps que des actions sont engagées pour lutter contre les agressions sexuelles, d’autres affaires surgissent. Les révélations en entraînent de nouvelles et la nécessité s’impose d’en parler "encore".
Si la Ciase avaient été mandatée pour faire la lumière sur la pédocriminalité dans l’Église catholique, l’institution ne peut ignorer les cas d’agressions sur des personnes adultes. Diffusé en mars 2019 sur Arte, le documentaire "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Église" a provoqué une nouvelle onde de choc. Il a notamment permis d'attirer l'attention sur les phénomènes d'emprise spirituelle, qui conduisent souvent à des agressions sexuelles.
De nombreux ordres religieux, mouvements d’Église ou communautés ont créé sur le modèle de la Ciase des commissions indépendantes, chargées d’enquêter et de recueillir des témoignages. Récemment, des rapports et des communiqués ont été publiés par la communauté Saint-Jean, l’ordre des dominicains ou la communauté de l'Arche, mais aussi les frères de Taizé, la communauté Saint-Martin, la communauté de L'Emmanuel, les Foyers de charité, les Missions étrangères de Paris...
En 2024, l’Église catholique de France doit faire face aux révélations concernant l’abbé Pierre, dix-sept ans après sa disparition. Le fondateur des communautés Emmaüs était une icône de la charité, dont le rayonnement allait bien au-delà de la sphère catholique. Ces nouvelles révélations concernent des faits souvent anciens, dont certains étaient connus. Mais qui savait ? Comment et pourquoi a-t-on a étouffé la parole des victimes ? Quand on ne peut plus entendre ce qu'a à dire l’abuseur, ni espérer de lui une demande de pardon, comment agir ? Parmi les réponses, l'idée de changer les noms des institutions, par exemple pour la Fondation Abbé-Pierre. Ou, dans d’autres cas, de retirer des œuvres d'art (les vitraux du Père Ribes dans le diocèse de Lyon ou les mosaïques du prêtre slovène Marko Rupnik à Lourdes...).
Les efforts de transparence et d'accueil de la parole des victimes permettront-ils de rétablir la confiance des fidèles catholiques alors que l'Église traverse une crise profonde ? Le clergé saura-t-il répondre aux exigences de réforme attendues par les laïcs ? Le scandale semble si retentissant que certains se posent la question de l'avenir du catholicisme. Le chantier qui s'ouvre désormais est vaste - sans doute le pape Benoît XVI en avait-il conscience au moment de renoncer à sa charge. Les réformes à mener concernent aussi bien des points de gouvernance que de théologie.
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